Conformément à ce qu'exige la loi antipourriel qui entre en vigueur le 1er juillet, les entreprises sont nombreuses ces jours-ci à écrire aux internautes pour leur demander la permission de continuer à leur envoyer des courriels. Est-ce la fin des courriels indésirables? Rien n'est moins sûr.

La loi canadienne antipourriel obligera notamment les entreprises à obtenir le consentement préalable des destinataires de leurs courriels, à conserver la liste des destinataires ayant donné leur consentement et à inclure un mécanisme de désabonnement dans chaque courriel.

Dans sa section blogue, la firme québécoise Cyberimpact, qui offre un service de marketing par courriel, recommande à ses clients de ne pas s'énerver avec tout cela.

«Ne paniquez pas avec la loi C-28!», est-il écrit.

D'une part, dit Cyberimpact, il n'y a pas de recours juridique possible du jour au lendemain.

De plus, écrit-elle, «il y a très peu de risque que les personnes qui reçoivent vos courriels depuis longtemps et qui ne se sont jamais désabonnées décident le 1er juillet prochain de vous dénoncer au CRTC».

Manon Bombardier, cadre en chef de la conformité et des enquêtes au CRTC, disait en fait en entrevue à La Presse en mai qu'elle s'attendait à ce que son organisme reçoive des centaines de plaintes quotidiennes. Cela étant, ajoutait-elle, le CRTC devra se concentrer sur les contraventions les plus graves.

Il reste que les amendes prévues à la loi (qui peuvent aller jusqu'à 1 million pour une personne physique et 10 millions pour une entreprise) font peur, signale Jacob Guité-St-Pierre, directeur du service client à l'agence web TP1 qui fait elle-même des envois massifs de courriels et dont certains clients ont des listes contenant quelque 200 000 adresses de courriel.

«D'ici 2017, le CRTC ne servira que des avertissements, mais si rien ne change d'ici là, ça sera troublant, dit-il. Pour l'instant, j'entre en contact avec nos clients et j'essaie de vulgariser la loi.»

La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante signale pour sa part qu'elle reçoit des dizaines d'appels de propriétaires inquiets qui ne savent pas trop sur quel pied danser.

Selon un sondage réalisé par la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, 62% de ses membres n'auraient cependant toujours pas pris de mesure pour se conformer à la loi.

«La plupart des propriétaires de PME ne se sentent pas concernés, car ils ne considèrent pas que leurs communications avec leurs clients ou fournisseurs sont des pourriels», dit Martine Hébert, vice-présidente principale et porte-parole nationale de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante.

Très satisfait de la loi, Me Michael Geist, professeur de droit à l'Université d'Ottawa, rappelle pour sa part que la loi ne réussira certainement pas à éliminer tous les pourriels, mais qu'elle a le mérite d'aller dans le sens du respect de la vie privée.

Les entreprises d'ici désavantagées?

Me Pierre Trudel, professeur de droit des technologies de l'information à l'Université de Montréal, est beaucoup plus critique et peste contre cette loi qui ne servira à son avis qu'à pénaliser des entreprises canadiennes «alors que les fraudeurs étrangers qui nous font miroiter de pseudo-héritages pourront, eux, continuer de sévir.»

«La loi part certes d'une bonne idée, enchaîne-t-il. Tout le monde est effectivement embêté par ces courriels non sollicités, mais il est dommage de voir qu'Amazon USA pourra continuer de nous proposer ses livres mais pas la librairie du coin.»

Me Geist, lui, soutient que la loi s'attaquera aussi bien aux fraudeurs étrangers qu'aux entreprises d'ici. Il soutient que le CRTC bénéficie déjà de la collaboration d'organismes étrangers de régulation comme la Federal Trade Commission.

Me Trudel, lui, n'est pas du tout de cet avis. À l'article 12 de la loi, note-t-il, il est mentionné en toutes lettres qu'il n'y a contravention à la loi «que si un ordinateur situé au Canada est utilisé pour envoyer, acheminer ou récupérer le message électronique».