Un groupe de réflexion de Washington a tenu vendredi un symposium pour se pencher sur un phénomène qui a fasciné des deux côtés de la frontière: comment la plus grande ville du Canada a pu élire Rob Ford?

Afin de tenter d'expliquer l'élection de M. Ford à la mairie de Toronto, et l'appui sur lequel il continue de compter, le Wilson Center a organisé un débat intitulé: «Le phénomène Rob Ford: que se passe-t-il à Toronto?». Le débat a attiré environ 25 personnes dans une salle de conférences près de la Maison-Blanche.

Le maire Ford est devenu une célébrité aux États-Unis - et une source inépuisable de blagues - mais un organisateur de l'événement a fait valoir vendredi que son histoire suscitait des questions très sérieuses de politiques publiques - notamment l'effet des fusions municipales et des changements démographiques dans les villes et les banlieues.

«Je voulais laisser de côté le Rob Ford des émissions humoristiques de fin de soirée, pour qu'on se penche véritablement sur ce qui se passe à Toronto», a dit David Biette, directeur de l'Institut canadien du Wilson Center, qui organisait l'événement. «Toronto est une ville merveilleuse, progressiste. Comment en est-elle venue là? Qu'est-ce qu'un phénomène comme celui-là nous révèle sur la gouvernance municipale?»

Anne Golden, ex-présidente du Conference Board du Canada et hôte du symposium, n'a pas tout à fait chanté les louanges de M. Ford, mais a livré ses vues sur les raisons de son élection et de son maintien à flot politiquement malgré un tsunami de scandales.

Mme Golden a décrit la création de la mégapole de Toronto, la popularité de son premier maire, Mel Lastman, de même que la grève des éboueurs et les hausses de taxes municipales qui ont déchaîné la colère populaire contre le «libéral» David Miller, qu'elle a présenté comme un «golden boy» formé à Harvard.

Alors, selon elle, la table était mise en 2010 pour un Rob Ford. Sa promesse de mettre fin au gaspillage éhonté à l'Hôtel de ville a plu aux Torontois. Son refus de demander des remboursements de dépenses, même pour des éléments aussi simples qu'une cartouche d'encre, lui a aussi attiré des appuis.

Mme Golden a illustré sur un plan de la ville à quel point M. Ford avait balayé les banlieues et obtenu très peu de soutien au centre-ville. Et elle a fait référence à une étude du professeur de l'Université de Toronto Zack Taylor sur les différences entre ce qu'on appelle la «Ford Nation» et les résidants du centre-ville qui ont voté pour son rival George Smitherman, dans le «village de Smitherman».

«L'électeur de M. Ford était plutôt un col bleu, vivait dans une maison unifamiliale, était automobiliste, et non un usager des transports en commun ou un cycliste (...) Et il avait un revenu familial moindre - environ 25 pour cent moins que l'électeur de M. Smitherman. Il était moins scolarisé aussi», a-t-elle exposé.

Un universitaire prenant part à l'événement a dressé des parallèles entre M. Ford et l'ex-maire de Washington Marion Barry - et a laissé entendre que ces similitudes ne se limitaient pas à... la consommation de crack. Il a avancé que les deux hommes avaient su s'attirer des appuis de la part de segments de la population qui se sentent ignorés par les élites des métropoles.

Mme Golden lui a fait écho, ajoutant que des écarts de conduite avaient eu tendance à enhardir M. Ford plutôt que de lui nuire. Avant même son élection, la police s'était rendue à son domicile en 2008, et M. Ford avait déjà été expulsé d'une partie de hockey en 2006, a-t-elle évoqué.

Mais les gens ont une si mauvaise opinion des politiciens ces jours-ci qu'ils n'en attendent plus grand chose, a soutenu Mme Golden. On espère seulement qu'ils ne voleront pas l'argent des contribuables, a-t-elle fait valoir.

Alors que M. Ford est entré en cure de désintoxication, sa base d'appuis demeure solide. «(Ces gens) savent qu'il indispose les élites - la soi-disant gauche-caviar. Comme les gens présents ici», a-t-elle exprimé.