Un document de travail obtenu par La Presse indique que le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a envisagé de réclamer la création d'un poste d'inspecteur général aux services du renseignement dans la foulée des révélations du consultant américain Edward Snowden sur les activités de la National Security Agency (NSA).

La version définitive du rapport diffusé fin janvier sur les mesures de contrôle à mettre sur pied pour «renforcer la protection de vie privée des Canadiens et la supervision des activités du secteur canadien du renseignement à l'ère de la cybersurveillance» passe cependant cette idée complètement sous silence.

Le rapport en question adopte par ailleurs un ton nettement moins cinglant à l'endroit du Centre de sécurité des télécommunications (CST), homologue canadien de la NSA, qui se voyait directement critiqué pour son opacité dans la première mouture obtenue en vertu de la Loi d'accès à l'information.

Le document de travail relevait notamment que le système canadien de supervision des services du renseignement, «après avoir fonctionné pendant des décennies», se voit aujourd'hui trop cloisonné et confiné par les lois pour suivre l'évolution du secteur.

Ses auteurs précisaient que les organismes de supervision n'ont pas les outils nécessaires pour contrôler les échanges d'informations entre les différentes branches des services du renseignement, alors que plusieurs indices laissent croire que ces échanges se font «à grande échelle». Une situation qui, notait-on, «nuit sérieusement à la reddition de comptes et peut mettre en péril la vie privée».

Confiance du public

Le nouvel «inspecteur général responsable du renseignement, de la cybersécurité et de la protection de la vie privée» envisagé par le Commissariat aurait notamment eu pour mandat de surveiller les échanges d'informations entre organismes de renseignement afin de «renforcer» et «maintenir» la confiance du public.

Son bureau devait être doté de pouvoirs accrus lui permettant de mener des examens de terrain pour faire la lumière sur les «zones grises» existantes en matière de supervision.

Afin de renforcer le «cadre actuel de reddition de comptes», le rapport final recommande plutôt «d'accroître les pouvoirs» des organismes fédéraux existants qui sont chargés de l'examen des questions de sécurité nationale, dont le Bureau du commissaire du CST.

Le document de travail déplorait en conclusion que les organismes du renseignement aient «toujours évité tout débat public» sur leur rôle et entretenu une «culture du secret». Cette mentalité est devenue «insupportable», soulignaient ses auteurs, qui pressaient «en particulier» le CST de réfléchir à des initiatives possibles pour «promouvoir une transparence et une sensibilisation accrues».

Le rapport final se borne à relever que le Commissariat espère, par ses recommandations, contribuer aux efforts en cours pour maintenir un équilibre «entre la protection de la vie privée des citoyens et la sécurité nationale».

Il ne mentionne pas explicitement les révélations sur la NSA, se bornant à relever que «les préoccupations au sujet de la protection de la vie privée dans le contexte des activités liées à la sécurité nationale se sont intensifiées au cours des derniers mois». Le document de travail insistait notamment sur «l'étroite collaboration» existante entre les services du renseignement canadien et américain en rappelant l'importance des activités de collecte d'informations révélées par Edward Snowden.

Trop complexe

La porte-parole du Commissariat à la protection de la vie privée, Valerie Lawton, a indiqué dans un courriel que l'idée de créer un poste d'inspecteur général avait été envisagée mais finalement écartée, car elle était jugée trop complexe à mettre en oeuvre.

«Après mûre réflexion à la suite de nos consultations auprès des experts externes, nous avons conclu qu'il faudrait consacrer beaucoup de temps et d'argent à la création d'un bureau d'inspecteur général alors que le renforcement des structures existantes apporterait la protection recherchée de façon plus économe en temps et en argent», a-t-elle souligné.

Un des consultants en question, Martin Rudner, professeur émérite à l'Université Carleton, indique que ses collègues et lui ont jugé qu'il était plus efficace de promouvoir l'idée d'un inspecteur général «à l'intérieur du système» que de réclamer la création d'un tel poste dans un rapport officiel en risquant de lui donner un ton partisan. L'universitaire juge par ailleurs tout à fait normal que le rapport définitif ait été «nuancé» par rapport au document de travail.

Mme Lawton affirme dans la même veine que l'utilisation d'un style «neutre et axé sur des recommandations concrètes» semblait être «l'approche la plus indiquée» dans un rapport au Parlement.

- Avec la collaboration de William Leclerc