Pour les victimes de violences liées à l'honneur, le salut est au bout du fil. Le pas le plus difficile à franchir pour elles, témoignent les intervenants, c'est de dénoncer les sévices dont elles sont victimes. Certaines trouvent le courage de le faire. D'autres, non.

Leila est entrée dans les locaux du groupe communautaire pour s'inscrire à des cours. À peine assise dans le bureau de l'intervenante, elle a fondu en larmes et confié à la femme que son père voulait la marier de force.

Or, Leila avait un petit ami québécois de souche. Elle avait perdu sa virginité. L'équivalent d'une condamnation à mort dans sa famille.

«C'était un appel à l'aide, un grand cri, raconte Gina, l'intervenante. Elle ne savait pas quoi faire.»

Gina a tout tenté pour la convaincre d'appeler à l'aide. Leila était tout juste majeure. Impossible, donc, d'appeler la DPJ en renfort. Le recours le plus évident, c'était un appel à la police.

«Elle m'a dit que si la police débarquait chez elle, elle allait tout nier. Et qu'après, elle allait avoir de gros problèmes avec sa famille. Elle a verbalisé clairement que sa famille pourrait lui faire du mal», dit Gina.

Gina a fait plusieurs autres démarches avec la jeune fille. Elle l'a accompagnée au centre des femmes de son quartier. Là-bas, une autre intervenante a fait plusieurs coups de téléphone pour essayer de trouver une solution. Le centre de femmes en question a reçu une quinzaine de cas de violences liées à l'honneur depuis cinq ans.

«On contacte les maisons d'hébergement, mais souvent, il y a un problème de places. Dans ce genre de situation, il est arrivé, raconte l'intervenante, que notre personnel se cotise pour payer une chambre d'hôtel à une femme. Notre gros problème, c'est qu'on ne sait pas où les envoyer si elles doivent quitter leur famille.»

Leila est donc ressortie du centre des femmes avec un numéro de téléphone, une ligne d'urgence réservée aux cas de femmes victimes de violence. Elle a écrit les 10 chiffres sur un tout petit papier, qu'elle a enroulé dans son tube de rouge à lèvres. Pour que ses parents, qui fouillaient son sac à dos tous les jours, ne trouvent pas le numéro.

Leila a continué de participer aux activités de l'organisme communautaire pendant un an. Pendant ces longs mois, Gina a ressenti une très grande impuissance. Elle a pensé appeler la police contre la volonté de la jeune femme. «Mais je ne voulais pas que ça tourne mal pour elle.»

Le programme auquel participait la jeune fille s'est terminé. Gina a souvent téléphoné chez elle pour avoir de ses nouvelles. Toujours, ce sont ses parents qui répondaient au téléphone. Or, les parents ne parlent ni français ni anglais. Et jamais ils ne lui ont laissé parler à leur fille.

Gina n'a plus jamais entendu parler de Leila. Elle ignore si la jeune fille a finalement composé les 10 chiffres enroulés dans son bâton rouge.