Après 65 jours emprisonnés en Russie et plus de trois mois sous l'interdiction de quitter le pays, le militant québécois de Greenpeace Alexandre Paul est finalement revenu au Canada, vendredi après-midi.

Tout souriant, accompagné de sa mère et de son père, visiblement émus de le voir enfin près d'eux, le militant écologiste de Greenpeace, Alexandre Paul, est arrivé vendredi après-midi à l'aéroport Montréal-Trudeau, après avoir passé plus de trois mois dans une prison de Russie.

«Je n'ai pas vécu l'expérience la plus heureuse, mais j'ai traversé ce moment difficile et je crois que ça en a valu la peine. J'étais vraiment content de voir que des millions de personnes se sont mobilisées partout à travers le monde. Le dossier sur l'Arctique est désormais connu», a-t-il déclaré, les traits tirés, après plusieurs heures de voyage qui l'ont mené de la Russie à la France, avant son ultime étape au Canada.

Le 18 septembre dernier, le militant montréalais et 29 autres écologistes, dont l'Ontarien Paul Ruzycki, se sont approchés d'une plateforme pétrolière russe appartenant à la société Gazprom, située dans l'océan Arctique. Ils avaient effectué cette manoeuvre à bord de leur navire, l'Arctic Sunrise, en eaux internationales.

Deux militants avaient alors tenté de monter sur la plateforme, afin de protester contre ce type d'exploitation dans les eaux arctiques. La garde côtière russe avait interrompu cette manoeuvre, avant de remorquer le navire et l'équipage vers la ville portuaire de Mourmansk, le jour suivant. Les militants, qui étaient accusés de piraterie et de hooliganisme, étaient passibles de 7 à 15 ans d'emprisonnement. Ils ont été détenus pendant plus de deux mois avant d'être libérés, moyennant une caution de 64 000 dollars par personne. C'est Greenpeace qui a versé ces sommes.

«Avant de lui parler au téléphone, nous avons d'abord reçu des lettres. Il était écrit "à l'aide, à l'aide". C'était très difficile», a raconté Nicole Paul, la mère d'Alexandre, quelques minutes avant l'arrivée de son fils.

«J'ai vu une émission sur les prisons en Russie, et ça m'a beaucoup affectée. Ils parlaient des camps de travail pour prisonniers en Moldavie. Je l'imaginais dans ce contexte, et je me disais qu'il ne pourrait pas vivre dans ces conditions pendant sept ans», a-t-elle ajouté d'une voix étranglée par l'émotion.

La libération des militants de Greenpeace a été rendue possible grâce à l'adoption, la semaine dernière, à la Douma, la Chambre basse du Parlement russe, d'une loi d'amnistie qui permettra à terme de libérer quelque 2000 personnes.

Alexandre Paul a remercié avec humour le président Vladimir Poutine d'avoir appuyé cette loi. Il croit que les Jeux olympiques de Sotchi, qui se dérouleront en Russie en février prochain, expliquent en partie pourquoi le Kremlin a voulu libérer les écologistes, plutôt que de poursuivre les procès.

Pour le porte-parole de Greenpeace Canada, Diego Creimer, il est probable que le contexte des Jeux a créé un climat favorable à leur libération, mais ce n'est pas tout.

«C'est une interprétation raisonnable, mais ce n'est pas la seule. Vladimir Poutine a dit en 2001 qu'il aimerait être un militant écologiste le jour où il prendrait sa retraite de la politique. Il a aussi déclaré que les accusations de piraterie ne tenaient pas la route. Au final, je crois que la mobilisation internationale qui a été créée autour de nos militants a influencé plusieurs politiciens, dont le président russe», a dit M. Creimer.

De retour à la maison, Alexandre Paul, qui milite pour Greenpeace depuis 15 ans, admet qu'il y songera à deux fois avant de se lancer à nouveau dans une manifestation de ce genre en Russie. Il espère toutefois poursuivre ses activités au sein de l'organisation, après un certain temps de repos.

Pour l'instant, dit-il, il entend prendre quelques jours pour boire une bière entre amis et passer une soirée en famille, afin de vivre le réveillon de Noël qu'il a manqué.

DE MILITANT ÉCOLOGISTE À «HOOLIGAN»

18 septembre

La garde côtière russe a interrompu la tentative de deux militants écologistes de Greenpeace qui ont tenté de monter à bord d'une plateforme de forage de la société Gazprom. Ils faisaient partie de l'équipage de l'Arctic Sunrise, formé de 30 personnes.

19 septembre

Le navire de Greenpeace, l'Arctic Sunrise, est arraisonné et remorqué jusqu'au port de Mourmansk. Les 30 militants, dont les Canadiens Paul Ruzycki et Alexandre Paul sont emprisonnés le temps de l'enquête.

2 octobre

Les militants de Greenpeace sont accusés de piraterie et de hooliganisme, un terme utilisé en ex-URSS pour identifier un jeune coupable d'hostilité envers le régime et de comportements antisociaux. Ils risquent une peine d'emprisonnement de 7 à 15 ans.

15 novembre

Le comité d'enquête russe estime que les militants pourraient rester encore trois mois en prison. Ils ont été transférés, au début novembre, dans une prison de Saint-Pétersbourg.

19 novembre

Revirement de situation. Neuf militants de l'Arctic Sunrise, dont l'Ontarien Paul Ruzycki, sont libérés par le tribunal de Primorskiy. Cela porte à 12 le nombre de militants relâchés. Greenpace a dû payer une caution de 64 000 $ par personne.

21 novembre

À son tour, le Québécois Alexandre Paul est libéré par le tribunal. Il doit toutefois rester en Russie, le temps que l'enquête se poursuive.

18 décembre

La Chambre basse du Parlement russe, la Douma, a adopté une loi d'amnistie qui vise à libérer ceux qui n'ont pas commis de crime violent, en sont à leur première condamnation, les mineurs et les mères de jeunes enfants. Au final, près 2000 personnes pourraient être libérées, dont les militants de Greenpeace. Les charges qui étaient portées contre eux ont finalement été abandonnées.  

26 décembre

Les autorités russes ont commencé à livrer des visas aux premiers militants de Greenpeace, afin qu'ils puissent quitter le pays. Le Britannique Anthony Perrett a été le premier du groupe à retrouver son passeport. Le jour suivant, c'était au tour du Montréalais Alexandre Paul de quitter la Russie.

PHOTO FOURNIE PAR GREENPEACE/AFP

Tout a commencé quand des militants écologistes de Greenpeace ont tenté de monter à bord d'une plate-forme de forage de la société Gazprom.

«Un écran de fumée»

Le système judiciaire russe n'est pas indépendant, mais fortement influencé par les volontés de politiciens influents, dénonce la directrice générale de la section canadienne francophone d'Amnistie internationale, Béatrice Vaugrante. Bilan en trois questions de la justice en Russie.

La Chambre basse du Parlement russe, la Douma, a adopté le 18 décembre dernier une loi d'amnistie qui permettrait au final de libérer environ 2000 prisonniers, dont les militants de Greenpeace. Certains voient dans cette loi une opération de charme avant la tenue des Jeux olympiques de Sotchi. Partagez-vous cette opinion?

Absolument. On remarque depuis plusieurs mois une politisation du système judiciaire russe. On a décidé d'amnistier certains prisonniers politiques, dont les militants de Greenpeace, et l'approche des Jeux n'est pas étrangère à cette décision. Il reste toutefois plusieurs détenus en Russie, moins médiatisés, qui sont aussi des prisonniers politiques. On a affaire à un système de répression et d'un non-droit à la dissidence, ainsi qu'à l'adoption de lois qui empêchent les organisations non gouvernementales, dont celles qui travaillent pour le respect des droits de la personne, de travailler.

Cette loi d'amnistie ne change donc en aucun point la situation de fond, qui est que le système judiciaire russe est contrôlé par des politiciens influents. Qu'observe-t-on auprès de ceux qui sont traduits en justice pour avoir participé à des manifestations?

Il y a beaucoup d'actes de harcèlement envers la société civile. Plusieurs sont détenus pendant de nombreuses semaines, sans procès, et d'autres sont jugés pour avoir participé à des manifestations, dont certaines sont considérées par les autorités comme des émeutes. Ceux qui manifestent contre des décisions prises par le régime ne sont pas nécessairement jugés de manière juste et équitable. Même si un juge désire travailler de façon honorable, la pression politique est parfois si forte qu'il n'est pas rare qu'il doive à son tour plier face aux demandes politiques.

On imagine que des avocats ou des magistrats sont alors inquiets du contrôle que prennent les politiciens sur les activités de la cour. Avez-vous discuté avec certains d'entre eux?

Des magistrats sont effectivement inquiets, mais aussi les avocats, dont certains sont harcelés lorsqu'ils tentent de préserver leur indépendance. Avec cette loi d'amnistie, Vladimir Poutine veut redorer son blason, montrer que son pays est capable d'amnistie, mais c'est un écran de fumée. Derrière cela, il y a toute une législation et des lois qui briment les libertés. C'est pourquoi, avec l'approche des Jeux, nous ne demandons pas le boycottage, mais que toutes les parties prenantes, joueurs, commanditaires, journalistes soient conscients qu'en Russie, il y a une véritable oppression contre la société civile.