De plus en plus de voix s'élèvent à Toronto pour réclamer non seulement la démission, mais aussi l'arrestation du maire Rob Ford. Une escalade qui accule la police à une position si délicate que certains craignent que son image ne soit ternie par le scandale qui ébranle l'hôtel de ville.

Avec de nouvelles révélations explosives sur les agissements allégués du maire, cette semaine, sont venus de nouveaux appels à sa démission. Mais le maire n'est pas la seule cible des critiques.

Le conseiller Adam Vaughan juge que l'impunité dont jouit le maire détonne avec la manière dont les policiers traitent des citoyens pauvres, immigrants ou toxicomanes. Il craint que la police ne donne l'impression qu'il y a une justice pour les riches et une autre pour les pauvres.

«Il y a un nombre significatif de personnes qui pensent qu'il reçoit un traitement de faveur, et cette perception ne doit pas être tolérée par la Ville et les élus», dit-il en entrevue dans son bureau de l'hôtel de ville.

Les élus ne sont pas les seuls à s'interroger sur le travail des policiers. Le centre Breakaway accueille chaque jour des dizaines de toxicomanes. Cet organisme a été le premier à organiser des échanges de seringues propres à Etobicoke, dans ce qu'on appelle aujourd'hui la «Ford Nation».

Le directeur de l'organisme, Dennis Long, s'étonne que le consommateur le plus célèbre en ville puisse non seulement échapper aux policiers, mais rester en poste.

«Il y a une certaine colère au sein de notre clientèle, constate M. Long. Les gens se disent: «Nous consommons ces choses-là, et la police nous tombe dessus, et lui, il s'en tire indemne.» Il a toujours son job, il a toujours son salaire, il a toujours ses bénéfices. Il y a clairement deux poids, deux mesures.»

Preuves insuffisantes

La police de Toronto se défend bec et ongles. Son porte-parole, Mark Pugash, fait valoir que les preuves sont insuffisantes pour convaincre un tribunal de condamner M. Ford.

«C'est un scénario où l'on a toujours tort, quoi qu'on fasse, dit-il. Le mieux que nous puissions faire - et c'est ce que nous avons fait - est de mettre nos meilleurs enquêteurs sur l'affaire, d'entretenir des contacts réguliers avec des procureurs de la Couronne et de documenter tout ce que nous faisons afin de défendre notre travail en tout temps.»

N'empêche, cette situation place le corps policier, en particulier son chef Bill Blair, dans une position périlleuse.

Fin octobre, M. Blair s'est dit «déçu» de voir le maire Ford apparaître dans une vidéo flanqué de deux membres allégués de gangs de rue, en train de fumer du crack. Le frère du maire, Doug Ford, a répondu en réclamant sa démission.

«Il est comme une tranche de jambon entre deux tranches de pain», observe, en français, Chris Mathers, un ancien agent de la GRC qui possède une agence de consultation dans la Ville reine.

Ce natif de Montréal est convaincu que la police dit vrai lorsqu'elle affirme ne pas détenir de preuves solides contre le maire. Même la fameuse vidéo le montrant en train de fumer du crack ne peut constituer une preuve hors de tout doute de sa culpabilité.

«Le fait qu'il y ait des critiques des deux côtés me dit que l'enquête progresse d'elle-même sans aucune autre considération», estime Alok Mukherjee, directeur du Comité des services policiers de Toronto, un organisme civil chargé de superviser le travail des forces de l'ordre.

C'est peut-être pourquoi le maire adjoint de Toronto, Norm Kelly, est devenu depuis peu l'homme fort à l'hôtel de ville. C'est lui qui a hérité de l'essentiel des pouvoirs du maire Ford lors d'un vote du conseil municipal il y a deux semaines. Au cours d'un entretien avec La Presse, il a cautionné sans réserve le travail de la police et du chef Blair.

«C'est une position qui peut être très inconfortable, a-t-il reconnu, mais c'est un homme expérimenté et intelligent. Je sais qu'il fera de son mieux dans cette situation délicate.»

Un mauvais exemple

La cascade de scandales entourant le maire Rob Ford a certes contribué à sensibiliser les gens aux dangers de la consommation, mais elle risque aussi de banaliser les effets de la drogue, estime le directeur d'un centre d'aide aux toxicomanes. Dennis Long, qui administre le centre Breakaway, se dit «profondément embarrassé» par les scandales à répétition qui ont ébranlé la mairie.

Il craint que les révélations sur la consommation alléguée du maire n'encouragent pas les Torontois à renoncer à la drogue. «C'est difficile d'éduquer les gens sur les problèmes de consommation et de dépendance, dit-il, lorsqu'on voit quelqu'un comme le maire qui trempe dans toutes sortes d'affaires et qui trouve le moyen de rester en poste.»

Des cartes de souhaits pour Rob Ford

Même en ces temps tumultueux, l'esprit des Fêtes règne au bureau du maire Rob Ford. Le mur vitré qui entoure ses locaux est tapissé de cartes de Noël. On en trouve une qui a été envoyée par nul autre que Stephen Harper. Certains électeurs ont inscrit dans leur carte des mots touchants à l'intention du maire.

«Vous avez du talent et vous avez beaucoup à offrir aux citoyens de Toronto, écrit un citoyen. Vous valez la peine qu'on prenne le temps de s'occuper de vous. Je vous ai entendu dire dans un reportage que vous recevez l'aide de professionnels. Nous avons tous besoin de soutien, peu importe qui nous sommes.»