Les aspirants djihadistes canadiens bloqués avant qu'ils puissent rejoindre une zone d'insurrection ou un groupe terroriste représenteraient une aussi grande menace à la sécurité du Canada que ceux qui reviennent ici après avoir atteint leur but.

C'est le constat dressé par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) dans une étude «top secret» consacrée aux «djihadistes frustrés», obtenue par La Presse.

Des dizaines d'«extrémistes islamistes» canadiens - le nombre exact est inconnu - s'entraînent ou combattent actuellement au sein de groupes djihadistes armés, essentiellement en Somalie au sein des shebab, en Syrie et en Libye.

Le phénomène n'est pas nouveau. Il y a une vingtaine d'années, l'Afghanistan et la Bosnie ont attiré comme des aimants un flot de moudjahidins, dont plusieurs Montréalais accusés et condamnés depuis.

Les analystes du SCRS notent, à juste titre, que certains d'entre eux, une fois de retour, «ont planifié des attaques terroristes au Canada et sont actuellement incarcérés».

L'étude, fournie à La Presse abondamment censurée, s'intéresse à ce qui est qualifié de «sous-groupe intéressant». En l'occurrence ceux qui ont vu leurs plans de «combattre et éventuellement mourir en martyr être contrariés».

Les obstacles sur le chemin du djihad violent peuvent être placés dès le départ - s'ils n'ont pas de passeport ou si leur nom figure sur une liste de passagers interdits de vol. L'aspirant combattant peut aussi être intercepté en chemin par des autorités étrangères et renvoyé au Canada ou encore rejeté par le groupe djihadiste à cause d'un manque de «compétence»...

De retour au Canada, les extrémistes refoulés pourraient décider de jouer le rôle de «facilitateur», de radicaliser d'autres individus ou d'intégrer un groupe d'individus «en colère» ayant décidé de mener leur combat «d'une autre façon». Sous-entendu: organiser des attaques en sol canadien ou occidental.

Le cas d'In Amenas

Fait intéressant, ce rapport a été rédigé à la fin du mois de janvier dernier, peu après la prise d'otages d'In Amenas en Algérie. Deux jeunes amis djihadistes canadiens, Ali Medlej et Xristos Katsirubas, étaient morts dans cette opération attribuée au groupe des «Signataires par le sang» de Mokhtar Belmokhtar.

En revanche, un troisième Canadien qui avait fréquenté la même école que Medlej et Katsirubas, Aaron Yoon, avait été arrêté en Mauritanie avant l'opération et incarcéré. Il est revenu depuis peu chez lui, en Ontario. Son cas est pile dans la cible de cette étude.

Le caviardage gouvernemental ne permet pas de découvrir la conclusion de cette étude. Néanmoins, dans l'univers de la lutte antiterrorisme occidentale, il est acquis qu'il demeure prioritaire d'empêcher des apprentis djihadistes, souvent jeunes, de s'envoler vers des zones de combat ou d'entraînement au sein d'un groupe classé comme terroriste. C'est d'ailleurs désormais un délit au Canada.

Dans son livre Terroristes - Les 7 piliers de la déraison, le juge antiterroriste français Marc Trévidic insiste sur le fait que les «jeunes musulmans», lorsqu'ils reviennent d'une «terre de djihad ou de pré-djihad», sont «la plupart du temps plus dangereux que lorsqu'ils sont partis». «L'interpellation d'un candidat pour le djihad avant son départ permet de le protéger lui, pas uniquement ses potentielles victimes», écrit-il. Il constate en effet que les aspirants au djihad sont de plus en plus très jeunes, manipulés par «des terroristes professionnels qui les recrutent, leur lavent le cerveau puis les exploitent».

- Avec la collaboration de William Leclerc