Après des années de tensions, une quarantaine de familles juives ultra-orthodoxes se sont éclipsées durant la nuit, lundi, fuyant Sainte-Agathe-des-Monts et le Québec pour échapper à la Direction de la protection de la jeunesse.

Au petit matin, près de 140 enfants et bébés se sont entassés avec leurs parents à bord d'une douzaine de voitures et de trois autocars. Neuf heures plus tard, les fondamentalistes de Lev Tahor déboulaient dans un motel et des appartements de Chatham-Kent, en Ontario, près de Detroit. Sur leur blogue, ils expliquent que certains d'entre eux étaient convoqués au tribunal de la jeunesse hier et qu'ils voulaient sauver leurs enfants.

Dans les Laurentides, leurs modestes maisons affichent déjà des cartons «À vendre». Des jouets de plastique et des caisses vides traînent dans la neige. Et des fenêtres fissurées laissent deviner des piles de serviettes et des pièces aux trois quarts vides.

«Ils ont été forcés de se sauver. Les autorités étaient féroces. On a beau avoir mis beaucoup d'argent pour retaper nos maisons et nos manuels scolaires, ça ne suffisait jamais», déclare un jeune homme du groupe, resté dans le village avec une poignée de jeunes, pour vendre les biens du mouvement.

«Nous avons tenté de collaborer avec le ministère de l'Éducation, mais nous ne pouvions pas faire d'autres compromis. Si les prescriptions de notre religion ne sont pas conformes à la loi québécoise, il ne nous restait plus qu'à faire nos bagages», renchérit l'un des leaders du groupe, Mayer Rosner, que La Presse a joint en Ontario.

En Israël, les membres d'une communauté jumelle sont qualifiés de «talibans juifs». Comme eux, les gens de Lev Tahor dissimulent leurs femmes et fillettes sous des quasi-burqas de drap noir et les accablent de tâches ménagères, plutôt que de les envoyer à l'école. Leur leader, Shlomo Helbrans, a passé deux ans dans une prison américaine pour avoir kidnappé un jeune de 13 ans.

Les disciples de M. Helbrans ont battu sa femme et son fils adulte, qui a quitté le groupe l'an dernier, et l'a aussitôt dénoncé aux services sociaux. Au fil des ans, l'Israel Center for Cult Victims a aussi recueilli un lot de plaintes et les a transmises aux autorités canadiennes. Les victimes affirment que les filles de Lev Tahor sont mariées de force dès l'âge de 14 ans, que les femmes sont isolées, que tous les enfants sont mal nourris, ballottés de famille en famille ou punis avec une sévérité excessive.

Enfants négligés

Selon une source proche du dossier, les autorités québécoises n'ont jamais recueilli les preuves de traitements aussi brutaux. Ces derniers mois, toutefois, environ une demi-douzaine d'enfants ont été placés en famille d'accueil, parce qu'ils étaient victimes de négligence. D'autres jeunes étaient apparemment sur le point de connaître le même sort, parce qu'ils ne fréquentaient pas l'école.

Les policiers de la Sûreté du Québec n'ont pas empêché le groupe de fuir. Il n'y avait là rien de criminel, nous disent nos sources. Mais on a tout de même documenté l'affaire.

Départ planifié

Chose certaine, le départ de Lev Tahor était planifié depuis longtemps. Mayer Rosner a pris contact avec des agents d'immeubles il y a plusieurs mois, dit-il, afin de trouver un nombre suffisant de maisons libres dans le même secteur. «On les loue, mais on veut les acheter. La loi est différente en Ontario, on pourra vivre ici, croit-il. On a transporté nos meubles dans des camions. Il est faux de dire que nous voulons aller à Vancouver, en Iran ou aux États-Unis.»

En Ontario, la police de Chatham-Kent est laconique. «Nous sommes en contact avec les autorités québécoises pour discuter du problème», écrit l'agente Renee Cowell.

«Quand des gens tentent de se soustraire à l'intervention de la DPJ, c'est inquiétant. Nous ne pouvons agir ailleurs, mais nous pouvons transmettre à une autre autorité des informations pertinentes», confirme le DPJ pour les Laurentides, Denis Baraby.

Son service «en était à l'étape des tribunaux», admet-il. «Nous avons travaillé pour que les conditions de vie soient telles qu'elles doivent l'être. On ne s'inquiétait pas tant pour l'intégrité physique que pour le développement des enfants à long terme, expose-t-il. La communauté a collaboré, mais il restait des lacunes.»

À Montréal, l'agence juive de services sociaux Ometz a reçu plusieurs signalements et les a rapportés au DPJ au fil des ans. «On est satisfait de son travail. Dans une telle situation, où les enfants ne parlent que yiddish, l'évaluation est complexe», commente David Ouellette, du Centre consultatif des relations juives et israéliennes.

En attendant de rejoindre leur groupe, quelques adultes sans enfants restent à Sainte-Agathe. Ils vident les maisons, ramassent le courrier au pas de course et répondent aux acheteurs - qui cognaient déjà aux portes lorsque La Presse a visité les lieux.

«On est partis de façon très organisée, dit Mayer Rosner. Moins de 24 heures après notre départ, j'avais déjà reçu l'appel de 10 acheteurs potentiels.»