Selon les recherches de l'historien montréalais David O'Keefe, le débarquement du 19 août 1942 visait à capturer l'appareil de cryptage Enigma de l'armée allemande.

En 1995, à Londres, dans un document récemment déclassifié par l'armée britannique, l'historien militaire montréalais David O'Keefe découvre une phrase surprenante: «Pour ce qui est du matériel à capturer, l'équipe de Dieppe n'a pas atteint ses objectifs.» Cet indice l'a mené à remettre en question les motifs du débarquement de Dieppe, le 19 août 1942, l'un des jours noirs de l'histoire militaire canadienne.

«Les explications les plus diverses existent sur les motifs de Dieppe», explique en entrevue M. O'Keefe, qui vient de publier sa thèse dans le livre One Day in August.

«On a parlé d'une répétition générale pour un débarquement ultérieur. De la volonté britannique de montrer à la Russie et aux États-Unis qu'un débarquement en France était prématuré. Ou carrément de vanité personnelle des chefs militaires. Je crois avoir trouvé l'explication la plus valable: on cherchait à capturer un nouvel appareil Enigma de cryptage des communications allemandes. Elle a aussi le mérite de rendre Dieppe plus acceptable, malgré les pertes», dit-il

La moitié des soldats qui ont débarqué à Dieppe sont morts ou ont été capturés. Chez les Fusiliers Mont-Royal, la seule unité canadienne-française du raid, le taux de pertes a été encore plus élevé, près de 80%.

La phrase qu'a lue M. O'Keefe à Londres en 1995 était surprenante, parce que le document en question portait sur les activités d'un commando spécialement attitré à l'opération Ultra. Cette dernière avait réussi à percer le cryptage des premiers appareils Enigma, ce qui permettait de savoir où les sous-marins allemands se trouvaient dans l'Atlantique, et donc de protéger les convois vers la Grande-Bretagne assiégée. Le nouvel appareil Enigma, à quatre rouages, changeait la donne. Les navires alliés coulaient les uns après les autres et la Grande-Bretagne était au bord de la panne sèche et de la famine.

Dix-huit ans de travaux

Après un séjour dans le régiment montréalais des Black Watch, M. O'Keefe a travaillé à la division historique de l'armée canadienne, puis à son compte, toujours comme historien militaire (notamment avec History Channel).

«En 1995, je travaillais sur Ultra», explique M. O'Keefe, qui vient d'une famille militaire montréalaise - deux de ses cousins ont notamment servi en Afghanistan. «J'ai commencé à mettre ensemble les morceaux du casse-tête. J'y ai travaillé 18 ans avant d'être confiant d'être en terrain solide.»

Les Britanniques avaient percé les secrets d'Enigma en capturant des appareils à bord de remorqueurs allemands. «Pour ne pas que les Allemands aient des soupçons, ils utilisaient des moyens disproportionnés pour capturer les remorqueurs, par exemple plusieurs contre-torpilleurs (destroyers), dit l'historien montréalais. C'est la même tactique à l'oeuvre à Dieppe: 6000 soldats seulement pour capturer le nouvel appareil à quatre rouages.»

De peur que les Allemands ne comprennent leurs intentions, les Britanniques ont cessé de viser les remorqueurs pour capturer plutôt des appareils Enigma dans les ports occupés par les Allemands.

«Il y a eu un raid en Norvège, puis d'autres, avec des moyens toujours plus importants, dit M. O'Keefe. Dieppe s'insère parfaitement dans cette progression. Et on voit que l'objectif était vraiment la zone du port qui abritait l'unité Enigma. C'est là que les Fusiliers ont été envoyés à l'abattoir, et après eux une unité de commando britannique. C'était le point central de l'attaque et il était hors de question d'abandonner, même après deux tentatives infructueuses.»

James Bond au combat

En ce jour du Souvenir, les recherches de M. O'Keefe permettront, espère-t-il, de donner un sens au sacrifice de plus de 2000 Canadiens. Au passage, il a aussi découvert une information captivante. Le responsable de l'opération de capture de l'appareil Enigma à Dieppe était Ian Fleming, le créateur de James Bond.