À Montréal, les amateurs de courses de rue choisissent des quartiers tranquilles pour rouler à tombeau ouvert. Sans se soucier des dangers. La Presse a rencontré la veuve d'une famille dont la vie a été détruite par ce phénomène.

Le quartier industriel de l'arrondissement Saint-Laurent est un terrain de jeu pour les amateurs de courses de rue. Les délinquants de la route aiment rouler à tombeau ouvert sur le boulevard Poirier.

Cette longue ligne droite débouche sur Bois-Franc, un quartier résidentiel cossu. La famille Clouston habite ce quartier depuis une douzaine d'années. Lynda et son conjoint Daniel s'y sont installés un peu avant la naissance de l'aîné, Nicolas. Catherine a vu le jour deux ans plus tard.

Le couple de professionnels a choisi l'endroit pour sa tranquillité. La famille file le parfait bonheur. Sa passion, c'est l'équitation. Les quatre membres de la famille se rendent six fois par semaine à l'écurie de Mirabel, où ils ont des chevaux en pension.

C'était avant que la famille Clouston ne croise la route d'un de ces jeunes fous du volant.

Jeudi soir à l'écurie

24 mars 2011. Ce jeudi-là, le garçon de 12 ans demande à sa mère de rester à la maison avec lui. Il ne se sent pas bien. Daniel et sa fille de 10 ans partent donc seuls à l'écurie, où ils passent la soirée. Généralement, ils rentrent vers 21 h 30.

21 h 45. Le VUS de la famille Clouston circule sur le boulevard Poirier en direction est. Le père et sa fille sont à un ou deux kilomètres de chez eux lorsqu'une BMW surgit de la rue Beaulac à toute vitesse. La BMW brûle un feu rouge puis percute leur véhicule de plein fouet.

Le VUS est alors projeté vers un poteau de feux de circulation. Sous la force de l'impact, le poteau est sectionné en deux. Le véhicule continue à déraper pour terminer sa route à l'envers, dans le champ.

La BMW vient tout juste de dépasser un autre véhicule «assez rapidement» rue Beaulac, selon l'enquêteur de la police de Montréal Diego Longato. Ce policier de Montréal a saisi les images d'une caméra de surveillance qui a capté la scène.

Aux yeux de cet enquêteur expérimenté, cela a toutes les allures d'une course de rue. Le second véhicule qui aurait participé à la course n'a jamais été retrouvé.

Le conducteur de la BMW, Arif Afghani, a été arrêté et accusé de conduite dangereuse causant la mort. Le jeune homme de 20 ans s'en est sorti sans blessure grave.

Un quartier de course

À Saint-Laurent, plus particulièrement sur le boulevard Poirier, «il y a souvent des courses automobiles», a témoigné l'enquêteur Longato lors de l'enquête préliminaire de l'accusé.

«Les jeunes se déplacent à Montréal, à Laval et sur la Rive-Sud pour faire des courses automobiles», a-t-il expliqué au juge.

Ce soir-là, l'accusé a une passagère à bord de sa voiture, une jeune femme de 17 ans. Elle est grièvement blessée lors de l'accident: fractures multiples, traumatisme crânien et perte de la vue d'un oeil.

La BMW circulait à plus de 100 km/h, alors que la vitesse maximale sur ce tronçon est de 50 km/h, selon un expert de la Couronne.

Le véhicule de l'accusé n'avait aucune défectuosité qui aurait pu entraîner une perte de maîtrise, selon un autre expert de la poursuite. Et il est clair pour un troisième expert que la BMW a brûlé le feu rouge. Bref, la famille Clouston n'a eu aucune chance.

La première policière arrivée sur les lieux a découvert le père, toujours assis sur son siège, suspendu la tête en bas, le corps retenu par sa ceinture de sécurité. Même chose pour la petite, assise à l'arrière. Elle portait encore son casque d'équitation.

Un aumônier vous attend

Vers 22 h, Lynda Bonneville voit des gyrophares devant la maison. Les policiers lui demandent si elle connaît quelqu'un du nom de Daniel Clouston. Et si elle sait si son mari était accompagné ce soir-là.

La mère de famille réveille son fils de 12 ans précipitamment. Les policiers les escortent tous deux à l'hôpital du Sacré-Coeur sans donner plus de détails. Un aumônier l'attend avec l'urgentologue de garde. «On a tous vu des films... Ça ne faisait que confirmer ce que je ressentais à l'intérieur», raconte Mme Bonneville.

La mère de famille doit identifier son conjoint. Le médecin n'a rien pu faire. Sa fille est transférée à l'hôpital Sainte-Justine pour des examens plus poussés sur l'état des dommages cérébraux. «Le pronostic n'était pas bon», se souvient-elle. La petite est maintenue en vie artificiellement. «Tu te dis que tout va s'arranger, mais non», raconte la mère. Le décès de l'enfant est confirmé au matin.

Quelques jours plus tard, la police lui apprend que son mari n'est pas responsable de l'accident. Les accusations criminelles sont portées plusieurs mois plus tard.

La mère de famille ne savait pas qu'elle avait déménagé dans un secteur où se déroulent des courses de rue. «Je me suis dit: "Si c'est un secteur de courses de rue, il n'y a pas juste les miens qui sont en danger. Il y en a d'autres aussi", dit la veuve. Tant et si longtemps que les lois ne seront pas assez sévères pour punir, ça va continuer.»

«Si on avait su, on ne serait pas passés par là tous les jours», poursuit la femme, géophysicienne de formation. Lorsqu'elle s'en sentira la force, Lynda Bonneville veut raconter son histoire aux jeunes pour les sensibiliser aux dangers de telles courses. «Ça sert à quoi? À se procurer un plaisir instantané? Quand on est touché par ça, on trouve ça d'autant plus absurde.»

Des cris à glacer le sang

«On tombe d'une famille unie, à quatre, qui faisaient plein d'activités - l'écurie, les voyages - à une maman blessée par la perte de son conjoint et de sa fille et un petit garçon qui a perdu son papa, sa soeur et sa famille», déclare-t-elle, émue.

Catherine était une première de classe et une grande sportive. Une fillette allumée et passionnée. «Elle aurait fait une fichue de belle adulte», se désole sa mère. Son mari Daniel était un homme qui menait une brillante carrière en informatique tout en plaçant sa famille au centre de sa vie.

Après la tragédie, son fils refuse de dormir dans sa chambre, traumatisé par son réveil brutal le soir de l'accident. Sa mère lui installe alors un lit dans sa propre chambre. La nuit, durant plusieurs semaines, l'ado pousse des cris dans son sommeil. Des cris qui glacent le sang.

Le juge qui a entendu l'enquête préliminaire a déterminé qu'il existait une preuve suffisante pour tenir un procès. Arif Afghani sera jugé en 2014. Le jeune homme est en liberté d'ici là.

En 2010, un an avant l'accident mortel, Afghani a été arrêté à Longueuil pour avoir refusé de fournir un échantillon d'haleine. Il a plaidé coupable en juin dernier. Son permis de conduire lui a été confisqué pour un an. Il a été condamné à payer une amende de 1200 $.

Depuis le drame, Nicolas pose beaucoup de questions à sa mère sur le système de justice. À l'école, lorsqu'il désobéit à une consigne, il est grondé sur-le-champ. Pourquoi alors le permis de conduire de l'accusé n'a-t-il pas été suspendu immédiatement lorsque celui-ci a été arrêté à Longueuil? se demande l'ado. Pourquoi l'accusé est-il toujours en liberté, à la maison, alors que lui a été privé, du jour au lendemain, des deux personnes qu'il aimait le plus au monde?