Sept Inuits sur dix ne mangent pas à leur faim? Les statistiques d'insécurité alimentaire au Nunavut ont fait bondir le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l'alimentation, Olivier de Schutter, lorsqu'il a fait enquête au Canada l'an dernier.

«Son rapport a fait connaître la problématique à la grandeur du pays, mais nous étions au courant depuis beaucoup plus longtemps», note Ed McKenna, directeur du secrétariat à la lutte contre la pauvreté du gouvernement du Nunavut, territoire le plus nordique du pays.

Avec sept autres ministères, il planche sur une stratégie de lutte contre l'insécurité alimentaire, un projet qui a nécessité plusieurs années de préparation et d'étude du phénomène.

«En général, c'est un problème de revenus qui est à l'origine de l'insécurité alimentaire. Si on ne fait pas assez d'argent, on ne peut pas acheter de nourriture. Au Nunavut, c'est une partie de l'équation», remarque M. McKenna.

Selon une étude sur la santé des Inuits, 50% des adultes gagnent moins de 20 000$ par année. Les dépenses en nourriture, quant à elles, s'élèvent en moyenne à 19 760$. «Mais il y a d'autres pièces dans le puzzle. L'accès à la nourriture traditionnelle pèse lourd dans la balance», explique M. McKenna.

Les familles dans lesquelles on ne trouve pas de chasseurs doivent acheter davantage de nourriture -très chère- dans les magasins du Nord. Des études démontrent que le coût du panier d'épicerie est le double de celui d'un panier comparable à Montréal.

Doublement cher, l'alcool

Et que dire de l'alcool et du tabac. Une bouteille de 40 onces de vodka peut coûter jusqu'à 400$ dans les communautés où l'alcool est prohibé, mais où le marché noir reste florissant.

À Iqaluit, le maire John Graham est favorable à l'ouverture d'un magasin de bière et de vin, qui vendrait ses produits à des prix raisonnables, ce qui couperait l'herbe sous le pied aux contrebandiers qui génèrent un chiffre d'affaires de 10 millions par année, selon la Gendarmerie royale du Canada. Selon lui, une telle mesure aurait un impact direct sur la sécurité alimentaire. «Ce qui m'intéresse, ce n'est pas tant les revenus en taxes qu'un tel magasin pourrait rapporter, mais plutôt les aliments que cela mettrait dans les assiettes des enfants», a dit l'élu lors d'une entrevue avec le journal local, le Nunatsiaq News.

Les travailleurs, les plus touchés

Au Nunavut, le phénomène de l'insécurité alimentaire ne touche pas que les familles qui vivent de l'aide de l'État. Parmi les familles inuites frappées par la faim que La Presse a rencontrées, un bon nombre comptait un ou plusieurs travailleurs.

«Je reçois de l'aide sociale et je m'en sors mieux que mes amis qui travaillent à 25$ ou 30$ l'heure, a confié Andrew Keenainak. Mon loyer est subventionné, ma facture d'électricité aussi. J'ai eu une motoneige au rabais et je reçois un chèque de 1800$ par mois pour ma famille et moi. Ceux qui travaillent n'ont pas tous ces avantages. En faisant le calcul, j'ai décidé de ne pas travailler. J'utilise mon temps libre pour chasser et pêcher. Je donne de la nourriture à mes amis qui travaillent.»

Son ami Norman Mike, employé à temps plein par la municipalité de Pangnirtung, hoche la tête. «Je travaille à temps plein et je n'arrive pas. Je dois payer une tonne de factures. Il ne reste plus grand-chose pour la nourriture.»

Les seuls épargnés, notent les deux hommes, sont les employés du gouvernement du Nunavut qui reçoivent des salaires, assortis d'allocations à la vie chère, de près de 100 000$ par an.