Difficile d'attraper Nick Saul ces jours-ci. Le travailleur communautaire, qui a été à la tête d'un organisme torontois d'aide aux plus démunis pendant 15 ans, ne tient pas en place.

Se promenant un peu partout au Canada, le Torontois porte un message qui en surprend plus d'un: il est temps de mettre fin aux banques alimentaires, pourtant de plus en plus populaires.

En personne, tout comme dans un récent livre qu'il a consacré à la question, Nick Saul argumente que, loin de faire partie de la solution à la faim, les banques alimentaires font plutôt partie du problème.

«Plus de deux millions de Canadiens utilisent les banques alimentaires annuellement. Les banques alimentaires déresponsabilisent-elles le gouvernement? Les banques alimentaires nous divisent-elles comme citoyens? La réponse aux deux questions est oui», laisse tomber Nick Saul.

Le militant aux cheveux argentés précise qu'il n'est pas question de "démoniser" les banques alimentaires et ceux qui y travaillent. Après tout, il a lui-même longtemps géré une banque alimentaire du quartier ouvrier de Davenport, à l'est du centre-ville de Toronto, avant de conclure à l'échec du modèle.

Le malaise de la bonté

Dans son livre, il décrit le malaise qu'il ressentait en offrant à ceux qui venaient lui demander de l'aide des fruits défraîchis et des boîtes de conserve bosselées. Tout ça après les avoir fait attendre et leur avoir posé une liste de questions embarrassantes sur leur situation.

«Au lieu de voir les banques alimentaires comme une incarnation de la bonté, nous devrions plutôt voir ces petits endroits éphémères, vivant du travail de bénévoles et servant de la nourriture inadéquate, comme le symbole de la désintégration de notre tissu social», écrit-il dans The Stop, le livre qui décrit sa démarche.

Au cours de la dernière décennie, Nick Saul et une équipe de collaborateurs ont transformé la banque alimentaire qu'il dirigeait en un programme communautaire tentaculaire dont le coeur reste la nourriture.

Un arrêt, dix services

Il suffit de mettre les pieds dans les locaux du Stop, rue Davenport, pour constater l'ampleur de ses activités. Chaque centimètre carré du local semble être en ébullition. Une vraie ruche. «Nous voulons amener tout le monde sous une seule tente, peu importe leur revenu et leurs origines», note Christina Palaccio, responsable des communications.

Dans une grande cuisine industrielle, la chef Ashley Shortall et une petite armée de bénévoles cuisinent un curry de pois chiches, des galettes de panais et un chutney aux poires pour l'un des repas chauds gratuits servis quatre fois par semaine. Dans l'entrée, on trouve un horaire des activités pour la journée: club de cuisine des hommes, programme pour les femmes enceintes, bingo, réunion pour les revendications communautaires.

Au comptoir d'accueil, des préposés distribuent des numéros à tous ceux qui veulent recevoir un panier de nourriture. Malgré l'opposition du Stop au modèle des banques alimentaires traditionnelles, l'organisme en abrite toujours une.

«La banque alimentaire n'est pas seule ici; elle est soutenue et entourée par toute une gamme de services et de programmes qui ont pour but de briser l'isolement et de transmettre des habiletés», note Rekha Cherian, coordonnatrice des lieux, en triant les betteraves biologiques.

La rencontre avec Nick Saul, elle, a lieu dans l'autre succursale - la plus glamour - de The Stop. L'organisme a converti de vieux hangars de réfection de tramway en serre, salle de réception et cuisine industrielle.

Des jardins communautaires et un four à pain jouxtent une grande cour où des fermiers viennent vendre leurs produits le samedi et où l'on vient déguster de la bière artisanale le dimanche.

Les activités lucratives servent à financer les activités communautaires, explique Nick Saul, pas peu fier de cet endroit lumineux qu'il a réussi à mettre sur pied après 10 ans d'effort. Il a connu l'ultime consécration quand la star britannique de la cuisine, Jamie Oliver, a porté aux nues l'endroit après une visite.

«C'est un lieu plein de ressources et quand les gens viennent y faire une activité, ils ont l'impression qu'ils valent quelque chose», expose le travailleur communautaire.

Un rêve canadien

Nick Saul rêve du jour où les banques alimentaires de sous-sols d'églises seront remplacées par des «centres communautaires d'alimentation» modelés sur l'exemple du Stop, qui rejoint 16 000 Torontois chaque année. Déjà, il prévoit en ouvrir trois en Ontario et un au Manitoba cette année. Il a arpenté le pays au printemps pour parler du concept, mais aussi pour amasser une vingtaine de millions de dollars qui pourront servir à la création de 15 centres similaires d'un océan à l'autre. Le Québec, dit-il, devrait faire partie du lot.

«Le Stop plaide en faveur d'une nouvelle société en établissant un endroit respectueux où les personnes à faible revenu ont accès à de la nourriture saine et l'occasion d'apprendre de nouvelles habiletés, en plus de tirer avantage de ressources qui les aideront à se bâtir une vie meilleure, croit Nick Saul. Nous avons créé une organisation qui ressemble au monde dans lequel nous voulons vivre.»