Estimant que la nouvelle certification des résidences privées pour aînés du gouvernement adoptée en mars dernier est trop sévère et coûteuse, des établissements abandonnent le processus et deviennent de simples tours à logements. En plus de perdre des services, les personnes âgées qui y sont hébergées se voient privées de précieux recours quand elles sont victimes d'abus. Seule la Régie du logement peut maintenant les défendre.

Des centaines d'aînés du Québec habitant dans des résidences privées pour personnes âgées perdront sous peu leurs activités de loisirs, de repas et tous les autres services de soins. Incapables de respecter la nouvelle loi sur la certification, adoptée en mars 2013 par le gouvernement, plusieurs établissements cesseront d'offrir des services pour devenir de simples tours de logements, a constaté La Presse.

À la résidence Château de Vincennes, à Montréal, ce sont les activités de bingo, de pétanque ainsi que le méchoui et l'épluchette de blé d'Inde annuels qui sont ainsi menacés. Le propriétaire de l'établissement, Jean-Pierre Lefebvre, explique que les coûts de la nouvelle certification étaient trop élevés. «Ça m'aurait coûté de 200 000 à 300 000$ si j'avais voulu me conformer. Ça n'a pas de bon sens! dit-il. J'aurais dû augmenter mes loyers, et mes résidants n'auraient pas été mieux servis.»

Changements coûteux

Le gouvernement a resserré ses exigences envers les résidences privées pour aînés en mars. Depuis, tout établissement accueillant des personnes de 65 ans et plus et offrant deux services ou plus, comme des repas, des activités de loisir ou des soins infirmiers, doit se soumettre à la certification. Les résidences doivent entre autres vérifier les antécédents judiciaires des membres de leur personnel, installer des systèmes d'appel à l'aide dans les chambres et assurer une surveillance 24 heures sur 24.

Effectuer tous ces changements a un coût. Plusieurs propriétaires sont incapables d'assumer ces frais. Jusqu'à maintenant, sept résidences ont changé de vocation à Montréal pour éviter de se soumettre à la nouvelle certification.

«Il n'y a pas encore eu de fermeture massive de résidences. Mais quatre ou cinq ont fait faillite. Le danger est plus dans les petits villages, qui n'ont qu'une résidence qui accueille souvent moins de 10 aînés. Pour eux, les changements sont impossibles à assumer financièrement», explique le président du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA), Yves Desjardins.

En se retirant du processus de certification, les établissements ne peuvent plus offrir certains services. C'est le cas du Château de Vincennes, qui devra arrêter ses activités de loisir et ne plus servir de repas dans sa cafétéria.

«On accueille des personnes âgées autonomes depuis 1960. On a toujours été corrects. Mais là, avec la nouvelle certification, on me dit que je ne pourrai plus offrir de loisirs. L'épluchette de blé d'Inde, le méchoui, le bingo, la pétanque... Tout ce qui fait la vie dans nos résidences, on me demande de l'arrêter. C'est ridicule», critique M. Lefebvre.

Marie-Josée Thibert, de l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, explique que lorsqu'une résidence pour aînés ne se conforme pas aux règles de la certification et décide de changer de vocation, l'Agence ne peut rien y faire. «Mais à ce moment, si des gens veulent déménager, le Centre de santé et de services sociaux (CSSS) local les aide», souligne-t-elle.

Les résidants peuvent aussi faire appel à leur CSSS s'ils veulent obtenir des soins à domicile. «Mais on sait qu'il y a de longues listes d'attente pour les soins à domicile», déplore le directeur général par intérim de l'Association québécoise des retraités des secteurs public et parapublic (AQRP), Mathieu Santerre.

Depuis cinq ans, l'AQRP réclame un soutien financier, pour aider les propriétaires à se conformer à la réglementation. «Il ne faut surtout pas assouplir la certification. On ne peut pas faire de compromis sur la sécurité des aînés. Mais il faut faire quelque chose pour éviter que le problème ne prenne de l'ampleur», estime M. Santerre.

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Protection des résidants: Des aînés qui ne savent plus vers qui se tourner

Wei Ming Yee, 87 ans, nous accueille avec le sourire dans son petit logement du Centre Yee-Kang, dans le Quartier chinois de Montréal, au début du mois d'août. Dans son salon surchargé de bibelots et de papiers, Mme Yee nous explique que plusieurs de ses voisins critiquent comme elle la gestion de l'établissement, mais qu'ils ne savent plus vers où se tourner depuis que la résidence a décidé de ne plus se certifier.

«On ne sait plus où porter plainte», dit la vieille dame à la démarche incertaine, tout en ne cessant de sourire.

Les aînés habitant dans des résidences certifiées et qui sont victimes d'abus peuvent en tout temps déposer une plainte au Commissaire local aux plaintes de leur région et au Protecteur du citoyen. Mais quand une résidence perd sa certification, les personnes âgées n'ont plus accès à ces mécanismes de protection.

«Les aînés doivent se tourner vers d'autres ressources», confirme la porte-parole de l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, Marie-Josée Thibert.

«Les locataires doivent s'adresser à la Régie du logement», ajoute Carol-Ann Huot, du bureau du Protecteur du citoyen.

Le Centre Yee-Kang à Montréal est une résidence gérée en organisme sans but lucratif (OSBL) de 84 unités, qui accueille des résidants âgés depuis 2006. En juillet 2012, l'établissement a décidé de se retirer du processus de certification, sous prétexte que les changements demandés étaient trop coûteux.

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Processus de certification Retrait massif des OSBL

Le Centre Yee-Kang n'est pas la seule résidence pour aînés gérée en organisme sans but lucratif (OSBL) à avoir quitté le processus de certification. Depuis le durcissement de la loi, 85% des établissements du genre ont fait de même, a appris La Presse. La directrice de la Fédération des OSBL d'habitation de Montréal, Claudine Lorrain, explique que la certification était trop coûteuse.

«Pour les petites résidences de moins de 150 locataires, il était impossible d'assumer les coûts», explique-t-elle. Mme Lorrain déplore que ce soient les aînés qui payent le prix. «Si on reste certifié, il faut augmenter les loyers pour payer les changements. Et si on ne se certifie pas, plusieurs personnes perdent leurs subventions aux revenus du gouvernement, car elles n'habitent plus dans une résidence pour aînés. On parle de 45 à 65$ de moins par mois par personne. C'est énorme. D'un côté comme de l'autre, c'est la personne âgée qui est pénalisée», dénonce Mme Lorrain.

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En chiffres

> 250: Nombre de résidences privées à Montréal

> 7: Nombre de résidences ayant quitté le processus de certification à Montréal

> 20 000: Nombre d'appartements destinés aux aînés en OSBL d'habitation au Québec

> 85%: Proportion d'OSBL s'étant retirés du processus de certification