La valeur des achats d'aliments biologiques a triplé en six ans au Canada, passant de un à trois milliards. Les produits biologiques vendus chez nous viennent en majorité - 57% du volume des ventes - de l'étranger. Profiter du boom du bio est difficile pour un jeune qui n'a ni terre en héritage ni grosses économies. À moins de louer un lopin aux Jardins de Marie-Bio, nouveau projet dont la mission est d'aider la relève à pousser.

Seul au Québec à offrir un diplôme d'études collégiales en agriculture biologique, le cégep de Victoriaville a reçu 30 nouvelles inscriptions pour la prochaine rentrée. C'est du jamais vu - il n'y en avait que 18 l'an dernier et 15 en 2011.

L'avenir de ces futurs maraîchers biologiques semble radieux. Équiterre, qui distribue cet été des paniers de légumes bios à 11 000familles, manque de fermes maraîchères diversifiées pour répondre à la demande. Mais encore faut-il que cette relève ait accès à une terre avant d'espérer produire la moindre carotte bio.

«On s'en va dans un mur en agriculture, dit Louise-Marie Beauchamp, cofondatrice des Jardins de Marie-Bio. Une terre de 80 hectares, avec silos, bâtiments, machinerie, maison et grange se vend un million et plus. Quel jeune de 25 ans veut s'endetter autant?»

La bien nommée MmeBeauchamp est propriétaire, avec son mari, d'une terre de 4,5 hectares à Saint-Basile-le-Grand, au pied du mont Saint-Bruno. Longtemps, la terre a été louée aux agriculteurs voisins tandis que le couple gagnait sa vie dans le milieu de la télévision et du cinéma.

L'automne dernier, ça n'a plus été suffisant: MmeBeauchamp a voulu se rendre utile à la société en mettant sa propriété à la disposition de la relève en agriculture. À une seule condition: qu'elle cultive biologiquement, sans pesticides, engrais de synthèse ni OGM.

Louer une terre 2000$ par an

Aux Jardins de Marie-Bio, un aspirant maraîcher biologique peut louer un demi-hectare de terre, avec accès à une serre, trois tracteurs et un réservoir d'eau pour 2000$ par an. C'est suffisant pour espérer des profits annuels de 20 000$ par an, calcule Mme Beauchamp. Voire plus si l'agriculteur a droit à l'aide au démarrage de la Financière agricole ou des Centres locaux de développement, ce qui ne va pas de soi.

«C'est kafkaïen, tranche la propriétaire, après avoir frappé à bien des portes pour trouver des appuis pour la relève. Tout le monde veut bien faire, mais au bout du compte, il n'y a pas grand-chose de concret.» Si bien que cet été, seuls deux duos d'agriculteurs en herbe ont répondu à l'appel - lancé à la dernière minute - sur une possibilité de huit.

Nicolas Chaput, Montréalais d'origine de 32 ans, a loué une parcelle avec un ami. Ex-soudeur, il est heureux d'être enfin son propre patron. «Ici, plus je plante, plus je gagne de l'argent», résume-t-il, avant de faire goûter à La Presse un de ses radis Pink Beauty croquants.

Si le printemps frais et pluvieux n'a pas été favorable aux maraîchers - surtout à ceux qui vivent sous la tente comme Nicolas -, l'espoir d'un été plus clément est grand. Mais le succès n'est pas garanti.

«Seul le temps montrera si l'initiative permet à de jeunes finissants d'avoir une expérience de démarrage avec un minimum d'encadrement», observe Jean Collin, directeur du Microprogramme en agriculture biologique de l'Université Laval.

Un rêve inaccessible devenu réalisable

«C'est super comme initiative, estime pour sa part Jean-Martin Fortier, auteur du livre à succès Le Jardinier-maraîcher, vendu à plus de 10 000 copies. Ça peut permettre à des jeunes et des moins jeunes de s'établir sans devenir propriétaires. C'est dur de trouver de petites parcelles à vendre au Québec, parce que le zonage agricole protège les gros blocs de production.»

M. Fortier inspire de nombreux aspirants agriculteurs, dont ceux des Jardins de Marie-Bio. On les comprend: son jardin de 0,8 hectare donne du travail - et des revenus intéressants - à quatre personnes à temps plein. «On est petits, mais c'est rentable parce que les coûts de production sont très bas», explique-t-il.

«Le livre de M. Fortier envoie le message qu'il est possible de se lancer en agriculture sur une petite superficie, à peu de frais, tout en étant capable d'en vivre convenablement, souligne Sébastien Lebel, coordonnateur du DEC spécialisé en production biologique du cégep de Victoriaville. Le rêve inaccessible de certains (faute de capitaux) devient peut-être réaliste et réalisable...»

Cet été, les légumes des Jardins de Marie-Bio sont vendus aux marchés publics de Rosemont, situé au technopôle Angus, et de Côte-Saint-Luc. Avis aux intéressés: des jardinets irrigués peuvent aussi être loués aux amateurs pour 100$ par saison.

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Boom du bio

D'où viennent les produits biologiques vendus au Canada?

>Canada: 43%

>États-Unis: 30%

>Europe: 8%

>Autres pays: 19%

Note: Provenance des volumes de produits biologiques vendus au Canada en 2012, Canada's Organic Market, National Highlights, COTA, 2013.

62 milliards

>Ventes mondiales de bio en 2012

>États-Unis: 32 milliards

>Canada: 3 milliards

>Québec: 750 millions

Le nombre d'entreprises québécoises détenant une certification biologique est passé de 325 à 1300, entre 2003 et 2012.

Source: Filière biologique du Québec.

Plus d'un Québécois sur deux achète bio

>56% des Québécois consomment des produits biologiques.

>53% de ceux qui ne consomment pas de produits bios invoquent leur prix élevé comme frein principal à l'achat.

Produits les plus achetés par les consommateurs de bio:

>Fruits et légumes 93%

>Pâtes alimentaires 64%

>Boissons 57%

Raisons motivant l'achat de produits bios:

>Effets bénéfiques sur la santé 83%

>Contribution à l'économie locale 80%

>Meilleur goût 63%

Source: Sondage mené auprès de 730 personnes en 2013 par la firme Advanis-Jolicoeur, pour le compte de la Filière biologique du Québec. Marge d'erreur de 3,6%.

Profil type des consommateurs de bio:

>Jeunes familles vivant en ville, dont les parents ont de 35 à 44 ans et dans lesquelles un des deux parents a un diplôme universitaire.

Source: Canada's Organic Market, National Highlights, COTA, 2013.

Le bio reste marginal dans notre production agricole

>4% des céréales produites au Québec sont bio.

>1,2% des produits laitiers sont bios (contre 5,7% aux États-Unis).

>1 à 2% des fruits et légumes sont bios (contre 12% aux États-Unis).

Source: Filière biologique du Québec.