Elijah Harper, qui est devenu un symbole de pouvoir pour les Autochtones canadiens lorsqu'il a contribué à faire dérailler l'accord constitutionnel du Lac Meech, est décédé vendredi matin.

Sa famille a annoncé qu'il était mort dans un hôpital d'Ottawa d'une défaillance cardiaque causée par des complications du diabète. Il était âgé de 64 ans.

M. Harper avait oeuvré en tant que politicien et leader autochtone pendant la majeure partie de sa vie. Mais il s'est particulièrement fait connaître à l'échelle nationale en 1990, pour le rôle majeur qu'il a joué dans le déraillement de l'Accord du Lac Meech qui prévoyait le retour du Québec dans le giron constitutionnel.

Il avait reproché aux auteurs du texte de l'accord de négliger l'enchâssement de droits pour les Autochtones.

Au Québec, le chef de l'Assemblée des Premières Nations, Ghislain Picard, estime qu'il restera une figure marquante de la lutte autochtone. Il est également celui qui a décidé de siéger, comme élu, dans le système démocratique des Blancs, tout en étant un revendicateur des droits des Autochtones.

«C'est sans doute ce qui permet à certains d'entre nous aujourd'hui, en dépit d'une certaine méfiance, de faire confiance au système. Sans doute que M. Harper l'avait compris», a souligné M. Picard.

Elijah Harper, ancien chef de la nation autochtone Ojibwa-Crie Red Sucker Lake Indian, était membre du Nouveau Parti démocratique dans l'opposition du parlement provincial manitobain lorsqu'il a empêché l'Accord du Lac Meech d'être ratifié avant la date limite imposée par Ottawa.

«Si on doit faire un retour dans l'histoire, sa présence et sa contribution font en sorte de garder une certaine attention sur nos droits et notre réalité», juge Ghislain Picard.

Dans un communiqué, la famille d'Elijah Harper l'a décrit comme «un homme, un père et un partenaire merveilleux» et comme «un leader et un visionnaire dans tous les sens du mot».

«Il aura une place dans l'histoire canadienne à jamais en raison de son dévouement au service public et pour avoir unifié les membres des Premières Nations avec fierté, détermination et fermeté», a ajouté la famille.

Le sénateur Jean-Claude Rivest, qui était le conseiller du premier ministre québécois Robert Bourassa au moment des négociations de Meech, minimise l'influence d'Elijah Harper. Certes, il lui reconnaît un rôle, mais il le circonscrit à une certaine conjoncture politique où le gouvernement manitobain s'était retrouvé à dépendre du vote du député cri.

«Il a manoeuvré, mais c'est davantage le premier ministre du Manitoba, Gary Doer, et la chef de l'opposition libérale, Sharon Carstairs, qui n'ont pas su livrer la marchandise», a laissé tomber le sénateur Rivest.

Toujours selon M. Rivest, l'échec de Meech repose aussi sur une mésentente sur les priorités des enjeux.

«On faisait Meech d'abord avec les revendications du Québec, et après, la réforme du Sénat et la question des Autochones. Gary Doer au Manitoba et Elijah Harper ont voulu imposer à tous les autres premiers ministres de mettre la question des autochtones à l'agenda.»

Des responsables fédéraux ont fait des pieds et des mains à la dernière minute pour tenter d'apaiser M. Harper, mais sans succès.

Brian Mulroney, qui était premier ministre à l'époque, mettait de la pression sur les premiers ministres provinciaux contestataires pour qu'ils appuient l'accord en le faisant ratifier dans leurs parlements provinciaux.

Au Manitoba, le vote à l'Assemblée législative est survenu tard dans le débat national. M. Harper a refusé que des règles de procédures législatives soient levées pour que le vote sur la résolution ait lieu plus rapidement.

Il a réussi à faire retarder la tenue d'un vote de façon à ce qu'il soit impossible d'arriver à la date limite.

Des images de M. Harper, tenant une plume d'aigle et répétant «non» à l'Assemblée législative manitobaine, ont fait le tour du pays pendant cette course contre la montre.

«Je l'ai repoussé et fait échouer parce que je ne croyais pas qu'il offrait quoi que ce soit aux peuples autochtones», a simplement dit M. Harper à propos de l'accord pour expliquer sa décision.

La Presse Canadienne l'a désigné personnalité médiatique de l'année en 1990 pour ses actions, qui ont contribué à redonner de l'importance aux questions autochtones à l'échelle nationale, au moins brièvement.

M. Harper a été le premier Indien inscrit à être élu au Parlement du Manitoba, où il a siégé de 1981 à 1992, dont deux ans à titre de ministre des Affaires autochtones dans un gouvernement du NPD.

Son rôle a brièvement été interrompu lorsqu'il est allé chercher de l'aide après avoir conduit en état d'ébriété.

En 1992, il a démissionné du parlement manitobain et, un an plus tard, il a été élu sous la bannière du Parti libéral fédéral pour représenter l'immense circonscription de Churchill, dans le nord du Manitoba, pendant un mandat.

Il a ensuite été défait aux élections fédérales de 1997 et de 2000.

Après sa retraite de la politique active, il est demeuré très respecté dans la communauté autochtone, selon Aaron Cardinell, un ami et partenaire d'affaires de M. Harper.

«Il était très pertinent pour notre peuple et une légende parmi les nôtres. Des communautés de partout l'admirent toujours. Nous avons toujours un respect immense pour lui», a-t-il déclaré.

Sa biographe, Pauline Comeau, a déjà noté que même s'il n'a pas agi seul en 1990, cela ne diminuait en rien l'importance de son geste.

«Dans ce monde, il s'agissait d'un effort collectif, et il a joué son rôle», a-t-elle indiqué dans un entretien peu après la publication de «No Ordinary Hero», sur M. Harper, en 1993.

Après sa carrière de politicien, M. Harper a passé le reste de sa vie à rendre visite à des peuples autochtones, à travailler avec des organisations caritatives et à faire du travail humanitaire.