La popularité du Canada comme terre d'accueil a explosé depuis 15 ans auprès des Tunisiens. Avec l'arrestation de Chiheb Esseghaier, lundi dernier, pour complot terroriste, plusieurs craignent de voir les vannes de l'immigration se fermer. Suite de notre reportage à Tunis.

Samia est inquiète. Il y a deux ans déjà, la Tunisienne a déposé son dossier en vue d'immigrer au Canada. Le délai n'a rien d'anormal ici, mais avec l'arrestation de son compatriote Chiheb Esseghaier lundi dernier à Montréal, elle craint de voir toutes les portes se refermer devant elle.

«Bien sûr que j'ai peur et tous ceux qui sont dans ma situation ont peur que le gouvernement arrête carrément l'immigration», confie la technicienne de 30 ans, rencontrée dans son petit bureau de Tunis, qui a refusé qu'on publie son vrai nom pour ne pas nuire à sa candidature.

L'immigration des Tunisiens au Canada -et surtout dans sa province francophone- a connu une hausse fulgurante ces dernières années. Alors que 2035 d'entre eux se sont installés au Québec pendant la période comprise entre 1998 et 2002, ce nombre a bondi à 3695 entre 2003 et 2007, puis à 5502 durant les cinq dernières années, révèlent des données fournies par le ministère de l'Immigration du Québec. Un bond de 170% en 15 ans.

Le Canada possède ici un fort pouvoir d'attraction, comme en témoignent les bureaux d'immigration aux couleurs de la feuille d'érable qui pullulent dans les rues poussiéreuses du centre-ville de Tunis. Ces agences privées promettent de faciliter le fastidieux processus administratif en l'échange de quelques milliers de dinars.

Des craintes

Le bureau Accès Canada, situé dans un immeuble anonyme de l'avenue Bourghiba, est l'un des plus anciens de tout le pays. Dans la salle d'attente de couleur saumon, une charte des droits et liberté du Canada est épinglée au mur. Des diplômes d'universités québécoises sont aussi affichés bien en évidence.

Imène Harbaoui, conseillère dans ce bureau, a elle-même déposé une demande d'immigration au Canada il y a deux ans. L'arrestation toute récente de Chiheb Esseghaier -accusé d'avoir voulu faire exploser un train de passagers près de Toronto- n'a pas eu d'impact pour le moment sur le traitement des dossiers, dit-elle. Mais elle ne peut s'empêcher d'avoir une crainte.

«J'espère que ça ne touchera pas l'immigration; on ne peut s'empêcher d'y penser», a-t-elle confié hier à La Presse. «C'est trop tôt: du moment que le gouvernement n'a rien déclaré, on va attendre de voir ce qu'il va décider», a ajouté sa collègue Hafhouf Rim, responsable de l'agence, vêtue d'un veston noir orné d'une feuille d'érable rouge et d'un voile islamique.

À quelques rues de là, les consultantes du bureau Immigration au Canada tiennent à peu près le même discours. Zohra Riahi dit n'avoir noté aucun changement depuis l'arrestation d'Esseghaier, ce qui n'exclut pas un changement dans le futur. «Certainement qu'on a peur un peu, on a peur que le Canada fasse preuve de plus de rigidité par rapport à l'acceptation des candidats tunisiens.»

L'ambassadeur se tait

Loin du chaos du centre-ville, dans la chic banlieue appelée Les Berges du lac, l'ambassadeur du Canada en Tunisie, Sébastien Beaulieu, a refusé de commenter la situation hier. Lorsque La Presse lui a posé des questions à la sortie de sa voiture, devant le luxueux immeuble entouré de barbelés, il nous a renvoyés au service de relations publiques du gouvernement, à Ottawa.

Joint par courriel, le porte-parole de Citoyenneté et immigration Canada, Rémi Larivière, a affirmé que «tous les demandeurs sont traités de façon équitable, peu importe leur pays d'origine». Il a ajouté que «tous les visiteurs, immigrants et réfugiés, font l'objet d'un contrôle minutieux avant leur venue au Canada».

Le porte-parole du ministère québécois de l'Immigration, Jonathan Lavallée, a pour sa part souligné que toutes les questions touchant le dossier de sécurité des candidats étaient traitées par Ottawa. Québec a toutefois le pouvoir de faire une sélection selon les besoins en main-d'oeuvre de la province.