Des réseaux criminels utilisent les failles du programme fédéral d'accès à la marijuana à des fins médicales pour produire, sous couvert de légalité, des drogues destinées au marché illicite.

Ils utilisent des «associés et des membres de leur famille» qui ne sont pas connus de la police pour obtenir des licences de production en contournant les contrôles mis en place par Santé Canada.

Des organisations criminelles de «haut niveau», déjà engagées dans la vente illégale de cocaïne, de méthamphétamine ou de marijuana cherchent par ailleurs «activement» à infiltrer le système. Une situation d'autant plus préoccupante qu'elles disposent de millions de dollars en capital pour lancer leurs activités.

Ces constats figurent dans un rapport protégé de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) daté de mai 2012, que La Presse a obtenu par l'entremise de la Loi d'accès à l'information.

Le document relève que le contrôle d'installations de production de marijuana à des fins médicales est «hautement souhaitable» pour ces organisations criminelles en raison «de la panoplie d'occasions qu'elles comportent» pour produire et écouler la drogue illégalement.

Les auteurs soulignent que la vérification des antécédents criminels des demandeurs de licences de production ne permet pas «de réduire les probabilités d'exploitation» du programme par des personnes mal intentionnées.

L'ampleur de son utilisation à des fins criminelles est une évidence pour le caporal Luc Chicoine, coordonnateur national de la GRC au soutien contre les drogues synthétiques, les produits pharmaceutiques et la marijuana.

«Il y a un problème au niveau de la loi. Tout le monde le sait, c'est un fait, on ne s'en cache pas, ni à la GRC, ni à Santé Canada, ni au gouvernement», souligne-t-il en entrevue.

Le caporal, qui a travaillé 20 ans sur le terrain en Colombie-Britannique, affirme avoir déjà vu des détenteurs de licences de production de Santé Canada qui produisaient des milliers de plants de marijuana, alors qu'ils n'étaient autorisés à en produire que quelques dizaines.

Les dérives existantes n'ont pas échappé au ministère fédéral de la Santé, qui a annoncé en décembre un projet de règlement visant à mettre fin aux abus. «Il sera beaucoup plus difficile de déjouer le système avec les changements prévus», avait annoncé la ministre de la Santé, Leona Aglukkaq, sans se montrer explicite sur la portée du problème.

Une analyse coûts-bénéfices produite en appui au projet de réforme par la firme Delsys avance que 36% des licences de production de marijuana à des fins médicales sont potentiellement utilisées de manière abusive. Le chiffre est basé sur le résultat d'inspections policières menées de 2005 à 2010 auprès de producteurs autorisés de marijuana. Le taux réellement observé d'abus variait de 1,5 à 3%, mais a été majoré pour tenir compte du fait que seule une fraction des installations illégales sont normalement découvertes.

Santé Canada affirme être bien consciente de la nécessité de réformer le système existant. «Il est bien trop ouvert aux abus», a déclaré l'organisation à La Presse.

Des abus «exagérés»

Adam Greenblatt, qui dirige la Société pour l'accès au cannabis médical, un dispensaire basé à Montréal, estime que les autorités fédérales tendent à exagérer l'importance des abus pour justifier une approche plus «coercitive».

Le gouvernement fédéral n'a pas mis en place d'emblée un système de contrôle efficace, déplore l'activiste, qui critique la volonté d'Ottawa d'empêcher les usagers de marijuana à des fins médicales de produire à domicile. «Le droit de tous de produire à domicile est retiré en raison de l'action d'un nombre limité de personnes», relève M. Greenblatt.

Il doute que les réformes annoncées permettent de faire cesser toute activité illicite au sein du programme, puisque la «prohibition» officielle de la marijuana, hors du cadre médical, encourage les groupes criminels à explorer toutes les avenues potentielles.

«Tant que ça demeurera interdit, il y aura des problèmes», souligne M. Greenblatt.

Avec la collaboration de William Leclerc