Disparition de bureaux de poste, courrier livré en soirée ou pas du tout, colis difficiles à récupérer: une importante réorganisation du travail à Postes Canada provoque l'insatisfaction des citoyens et l'épuisement des facteurs en plus de nuire à la qualité des services.

«Parfois, on n'a aucun courrier pendant trois jours, et le facteur passe souvent en soirée, après la fermeture du bureau, raconte avec exaspération Michel Du Temple, évaluateur immobilier, à son bureau de la rue Beaubien, à Montréal. On attend des documents de nos clients et des chèques, alors ça nous cause d'importants problèmes.» M. Du Temple s'est plaint plusieurs fois à Postes Canada, en vain.

Le problème touche plusieurs secteurs de Montréal. Les changements introduits l'été dernier devaient pourtant améliorer le service postal, grâce aux nouvelles machines qui trient le courrier plus efficacement. Comme les facteurs ont moins de classement à faire, leurs circuits ont été allongés. De plus, chaque facteur a maintenant son camion et distribue à la fois lettres et colis en plus de ramasser le courrier dans les boîtes aux lettres. Auparavant, ces tâches étaient accomplies par des employés différents.

Mais la réorganisation, que la société appelle «poste moderne», provoque des turbulences. Les facteurs se plaignent que leurs parcours sont trop longs et qu'ils doivent travailler jusqu'à 20h ou 21h, ce qui en oblige plusieurs à terminer leur distribution à la lueur d'une lampe frontale.

Heures supplémentaires obligatoires

Dans d'autres cas, le courrier n'est tout simplement pas livré: les facteurs sont incapables de terminer leur circuit. Obligés de faire des heures supplémentaires à répétition, ils sont épuisés. Selon le Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes (STTP), 49% des employés de la succursale Marseille, dans l'est de Montréal, issue du regroupement de trois succursales, ont été absents pendant plusieurs jours en raison d'accidents du travail ou de maladie depuis la réorganisation, en juillet dernier. En décembre 2012, par exemple, 24% des facteurs étaient absents, comparativement à 7% un an plus tôt. Mais la société manque de personnel de remplacement.

«J'ai dû demander un papier du médecin pour pouvoir refuser de faire des heures supplémentaires, indique un facteur qui a requis l'anonymat. Je faisais des journées de 12 heures, j'étais épuisé et j'ai fait des erreurs. Quand je m'absente ou que je ne peux pas terminer mon circuit, personne ne me remplace, alors le courrier n'est pas distribué.»

Selon le syndicat, l'employeur impose maintenant des mesures disciplinaires aux facteurs qui refusent de faire des heures supplémentaires dans un autre itinéraire que le leur.

D'autres facteurs signalent que leur sac est beaucoup plus lourd qu'avant. «Postes Canada est irresponsable de nous forcer à marcher 8 ou 10 heures par jour, à un bon rythme, parfois dans la noirceur, avec un sac dont le poids excède 35 livres», affirme l'un d'eux dans une lettre envoyée au PDG de la société, Deepak Chopra.

D'autres facteurs ont aussi envoyé des lettres touchantes à leur PDG pour se plaindre de leurs conditions de travail. «Je suis un gars, un vrai, un fier, et pourtant je pleure d'épuisement tous les jours, confie un employé de longue date. Ça fait trois mois que je n'ai pas bordé mon petit garçon de 3 ans. Avant, j'adorais mon travail. Maintenant, je trouve que c'est le pire métier du monde.»

«Je vous donne ma démission de mon poste de facteur, écrit un autre. Je suis révolté de voir la nonchalance avec laquelle la direction traite sa clientèle et de voir les services se dégrader. Les changements des derniers mois ont pourri notre milieu de travail.»

«Désorganisation»

Des députés du NPD qui ont reçu de nombreux témoignages de facteurs découragés et de citoyens excédés par les retards de courrier dénoncent la détérioration des services et des conditions de travail à Postes Canada. «Ça ressemble à une désorganisation plutôt qu'à une réorganisation», dit Robert Aubin, porte-parole du NPD sur les questions de transports, d'infrastructures et de collectivités.

Autre conséquence du nouveau mode de livraison: les colis ne sont pas toujours remis directement aux destinataires, qui doivent plutôt les récupérer au bureau de poste. «Le facteur m'a expliqué qu'il ne pouvait plus monter dans les bureaux pour nous remettre nos colis», raconte Mathieu Saint-Laurent, qui travaille à l'Association internationale de science politique, dont les bureaux sont situés près de l'Université Concordia. «Comme le gardien à l'entrée ne peut pas signer pour les différents destinataires, on doit aller chercher le colis au bureau de poste. Mais on en reçoit tous les jours et ça nous fait perdre du temps.»

Anick Losier, porte-parole de Postes Canada, répond que la nouvelle méthode nécessite une période d'adaptation de la part des facteurs, mais qu'il n'y a pas de problème sérieux. Il n'y a pas d'augmentation du nombre de blessures ou de congés de maladie, dit-elle. Si des clients reçoivent leur courrier après 18h, selon elle, ce n'est qu'en raison de circonstances particulières, comme des tempêtes de neige ou les congés des Fêtes.

Pour dénoncer la dégradation des conditions de travail de ses membres et du service qu'ils offrent à la population, le STTP organise une marche aux flambeaux demain près de la place des Festivals, qui accueille actuellement Montréal en lumière, «pour éclairer la population sur la grande noirceur qui règne présentement à Postes Canada».

Les fermetures en chiffres

16 bureaux de poste ont fermé leurs portes ou sont en voie de fermer au Québec, dont 10 dans la région de Montréal.

Le Québec compte 986 bureaux de poste et 479 comptoirs postaux en franchise dans des commerces.

En 2011, Postes Canada a enregistré une perte de 327 millions de dollars, sa première en 16 ans. Ces mauvais résultats sont attribuables au dernier lock-out, aux obligations du régime de retraite et à la décision rendue par la Cour suprême en matière d'équité salariale, mais aussi à la baisse du volume de courrier. Pour l'ensemble du Groupe d'entreprises de Postes Canada (qui comprend les filiales Purolator, SCI et Innovaposte), la perte nette a atteint 188 millions de dollars en 2011, comparativement à des profits de

314 millions en 2010. Le volume total des envois du Groupe d'entreprises de Postes Canada a diminué de 4,1%

en 2011 par rapport à 2010.