Dans moins d'un an, Anastasia aura 18 ans. Un moment qu'elle redoute autant qu'elle attend.

La jeune femme vit ici depuis qu'elle a 14 ans. Sa mère est en Haïti. Son père, avec qui elle a quitté son pays natal lorsqu'elle était enfant, la violait. Elle l'a dénoncé en plein examen, à l'école primaire. Elle n'a plus jamais eu de contact avec lui. «Il est mort l'an dernier, dit-elle. Je n'aurais jamais pensé que ça m'affecterait, mais j'ai eu de la peine.»

Anastasia est donc une vraie orpheline. Le foyer, c'est chez elle, et elle angoisse à l'idée de partir.

«Elle a un très grand potentiel, mais elle n'y croit pas, parce que la vie a fait en sorte qu'elle se retrouve dans une situation plate», explique Hérold Paul, l'éducateur qui lui est attitré.

L'adolescente et lui entament la dernière ligne droite pour qu'elle soit fin prête à faire le grand saut. «On essaie de voir quel est le meilleur cégep pour l'inscrire, raconte l'éducateur. Elle voudrait déménager à côté de l'école pour pouvoir y aller à pied, mais il faudra voir le prix des loyers.»

Depuis plus d'un an maintenant, sa protégée allie études et travail. Elle met beaucoup d'argent de côté. «Hérold m'a appris à magasiner dans les friperies pour économiser. Il m'a aussi accompagnée à la banque pour m'ouvrir un compte.» À la maison, elle cuisine et elle nettoie, même lorsque ce n'est pas son tour. «Le fait de travailler, ça lui a donné une discipline», note M. Paul, en la regardant frotter une plaque qui traîne dans l'évier.

Elle dit qu'elle n'aime pas l'école, mais elle réussit bien. Elle doit terminer son secondaire cette année. Si jamais elle ne le finit pas, elle pourra rester au foyer un an de plus, même si elle est majeure. Mais le but est qu'elle le termine.

«L'école, je trouve ça plate, mais je me force, parce que je veux réussir dans la vie. Je vais montrer à ma famille que je ne suis pas une bonne à rien, même s'ils m'ont laissé tomber.»