Ce qui fait le plus mal à Jackie Barney quand elle se remémore son enfance dans les pensionnats amérindiens, ce ne sont ni les coups ni les agressions. Ce sont plutôt ces terribles journées du mois d'août, quand les avions atterrissaient dans son village cri pour venir arracher tous les enfants à leurs parents. Pour les assimiler.

«Je ne sais pas pourquoi, mais avant de partir, l'avion faisait le tour du village, dans le ciel. Nous avions alors tout le temps de voir nos parents qui restaient là, sur le quai, sans bouger, en nous regardant nous éloigner. Souvent, je me suis demandé ce que pensait le pilote dans ces moments-là.»

Mme Barney, qui habite à Waswanipi, a témoigné de son enfance volée devant la Commission devérité et réconciliation du Canada, qui siège à Val-d'Or ces jours-ci. Quelque 80 000 victimes de ces pensionnats seraient encore vivantes, et cette commission veut en entendre le plus grand nombre possible.

Des excuses officielles ont été présentées en 2008 par Stephen Harper, et les pensionnats ont déjà donné lieu au plus important règlement d'un recours collectif de l'histoire canadienne. Aujourd'hui, il s'agit surtout de permettre aux victimes de raconter leur histoire, pour les aider à guérir et pour que les Canadiens sachent enfin ce qu'elles ont vécu.

Alice Ruperthouse - #66, au pensionnat - a raconté elle aussi à quel point elle haïssait le mois d'août. Huit mois d'août consécutifs, elle a été enlevée à ses parents. «Même adulte, j'ai continué à détester le mois d'août. Pour moi, il signifiait la séparation, l'insécurité, ce moment où j'allais me retrouver seule.»

«Raconter, en 15 minutes, 8 ans de ma vie, c'est difficile parce que j'ai le shake en dedans», a-t-elle dit, la voix brisée.

Des parents sous le choc

Souvent, plus que leur propre douleur, les gens qui ont témoigné hier ont voulu dire celle de leurs parents. «Ma mère m'a raconté que pendant des jours, après mon départ, mon père restait dehors du matin au soir, a dit Mme Barney. Il restait dehors pour pleurer, pendant qu'elle, elle pleurait dans la maison.»

«Ma mère me disait: «Ne pleure pas Johnny»», a dit Johnny Grant, aussi de Waswanipi.

Plus tard, on lui a raconté à quel point c'était silencieux, dans le village, quand il avait été vidé de tous ses enfants.

Dans le village d'Oscar Kistabish, c'est en voiture que les gens des Affaires indiennes et les policiers venaient chercher les enfants. «J'étais en train de jouer avec mon cousin. Je braillais, je me demandais ce qui se passait. Ils nous ont tous embarqués. Les premières années, je ne me souviens de rien, parce que je ne comprenais rien; je parlais seulement algonquin et cri.»

Oscar Kistabish, qui vit à Pikogan, raconte que ses filles avaient plus de 30 ans quand elles ont su que leur père était allé au pensionnat. «Ce ne sont pas des choses dont on parlait à la maison.»

Jimmy Papatie, de Kitcisakik, a révélé avec émotion ce que lui ont valu ses années de pensionnat. «À 8 ans, je sniffais de l'essence. À 11 ans, j'ai commencé à me droguer. J'ai même failli tuer quelqu'un. À 14 ans, j'étais tanné de vivre, je suis venu à Val-d'Or pour me tuer. J'ai fait deux overdoses ici.»

M. Papatie a eu deux enfants, qu'il n'a pas vu grandir. «Parce que j'étais incapable d'être un père comme du monde. À 48 ans, je commence tout juste à reconstruire ma relation avec eux. Ce n'est pas facile pour nous d'aller dire tout cela. Et ce n'est sûrement pas facile pour les gens de nous écouter», a souligné M. Papatie.