Une idée vieille de 200 ans refait surface sous l'impulsion de trois sénateurs conservateurs. Afin de stimuler l'économie des Maritimes, ils proposent d'unir la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard et d'en faire une seule province. Un projet séduisant pour plusieurs, mais qui se heurte déjà à de fortes résistances, notamment chez les Acadiens.

Lorsqu'un semi-remorque gravit une côte en Nouvelle-Écosse, la loi l'oblige à activer ses clignotants pour avertir les voitures qu'il avance au ralenti. Un véritable piège à contraventions pour un camionneur qui arrive du Nouveau-Brunswick, où ce règlement n'existe pas.

Pour une entreprise de transport, les Maritimes sont un casse-tête. Le poids maximal d'un camion change entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Les trains routiers à deux remorques sont interdits sur les routes de l'Île-du-Prince-Édouard.

Des normes de construction différentes font en sorte que les viaducs n'ont pas la même hauteur d'une province à l'autre. Des livreurs venus de l'extérieur doivent parfois faire un détour pour éviter que leur véhicule heurte une portée.

«On trouve des barrières dans toutes les autres provinces au Canada, mais ici, on est plus proches, on est plus concentrés et l'impact est plus grand, explique Jean-Marc Picard, directeur de l'Association du camionnage des provinces atlantiques. Ce n'est pas anormal pour un camionneur d'aller de la Nouvelle-Écosse au Nouveau-Brunswick sur une base quotidienne.»

Dans une région qui a bien besoin d'un coup de pouce économique, c'est le type d'entrave qu'il faut éliminer, affirment les promoteurs de l'union des Maritimes. Cette idée a vu le jour au début des années 1800 après l'indépendance des États-Unis, et elle refait surface périodiquement depuis.

Depuis peu, trois sénateurs conservateurs ont entrepris de raviver ce vieux rêve. Stephen Greene, John Wallace et Mike Duffy, qui représentent respectivement la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Édouard, préparent une campagne pour promouvoir une province unie.

«Ces divisions nous empêchent de tirer profit de nos habiletés, de nos talents et de notre culture, et de les montrer au monde entier, a déclaré M. Greene lors d'un discours au début du mois de décembre. Ces divisions entraînent un dialogue de sourds et une incapacité à tirer le maximum de notre merveilleuse région.»

La démarche des trois sénateurs se veut non partisane. Ils tenteront de rallier des leaders de tous les horizons politiques à leur projet, dont ils dévoileront les détails au cours des prochains mois.

Le trio considère qu'une province unie serait mieux positionnée pour attirer des investissements que trois petites provinces qui se font concurrence. Qui dit plus d'investissement dit plus d'emploi. Qui dit plus d'emploi dit un frein à l'exode des jeunes qui migrent chaque année vers les provinces riches, ainsi qu'un afflux d'immigrants.

Les Maritimes, qui comptent 1,8 million d'habitants, entretiennent trois gouvernements provinciaux, trois systèmes de santé, trois régimes réglementaires. Dans une région qui combat depuis des décennies le marasme économique, c'est un luxe que plusieurs jugent superflu.

Donald Savoie, professeur d'administration publique à l'Université de Moncton, milite depuis des années en faveur de l'union.

«On a une situation fiscale fort difficile et on pourrait rationaliser le secteur public avec l'union des provinces maritimes, fait-il valoir. Est-ce que c'est du gros bon sens d'avoir 32hôpitaux au Nouveau-Brunswick et 43hôpitaux en Nouvelle-Écosse?»

Dans les années 60, à l'initiative du premier ministre du Nouveau-Brunswick, Louis Robichaud, les provinces et Ottawa ont sérieusement étudié la possibilité de former une union. Selon un sondage mené à l'époque, 68% des Néo-Brunswickois, 62% des Néo-Écossais et 58% des Prince-Édouardiens y étaient favorables.

Mais l'idée n'a jamais été mise à exécution. Et à ce jour, les trois premiers ministres provinciaux s'y opposent.

«C'est une idée sans valeur, tranche le premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard, Robert Ghiz, en entrevue à La Presse. C'est impossible maintenant de faire quelque chose comme cela. Si les sénateurs avaient fait un peu de recherche, ils auraient constaté qu'il y a déjà beaucoup de collaboration entre les provinces maritimes.»

Comme plusieurs, la députée néo-démocrate d'Halifax, Megan Leslie, ne voit tout simplement pas l'utilité de se lancer dans une entreprise aussi complexe.

«C'est une entreprise majeure qui requiert un changement dans notre Constitution, constate Mme Leslie. Je ne vois pas pourquoi on mettrait autant d'énergie et de ressources dans ce projet alors qu'on a d'autres combats à mener.»

Certains promoteurs de l'union accusent les gouvernements provinciaux et les fonctionnaires de défendre leurs fiefs. Mais même chez ceux qui voient l'idée d'un oeil favorable, plusieurs doutent qu'elle soit réaliste.

Le sénateur libéral James Cowan, de la Nouvelle-Écosse, convient que l'économie des Maritimes souffre de la mosaïque réglementaire et de la lourdeur bureaucratique. En fait, admet-il candidement, ç'aurait été beaucoup plus simple si les provinces avaient fusionné au moment d'entrer dans la Confédération canadienne.

Il reste qu'à ses yeux, les provinces s'aideraient bien davantage en négociant des mesures simples et concrètes comme des harmonisations réglementaires. Il reproche à ses collègues conservateurs de vouloir frapper un coup de circuit alors qu'une approche pragmatique permettrait de régler les problèmes qu'ils dénoncent. Il doute par ailleurs que le sentiment d'appartenance aux Maritimes puisse devenir plus fort que celui aux provinces individuelles.

«Dès que vous soulevez l'idée d'une union des Maritimes, vous vous retrouvez immanquablement dans une discussion: où sera la capitale? Combien de députés perdrons-nous? Perdrons-nous des sièges à la Chambre des communes ou au Sénat? Le débat dérape avant même de commencer», observe le sénateur James Cowan.

Quant à la communauté des affaires, elle reste plutôt en marge du débat pour le moment. Bien qu'il suive les discussions avec intérêt, le président de la Chambre de commerce des provinces atlantiques, Pierre Cadieux, estime qu'il est trop tôt pour étudier le projet de près.

«Ce n'est pas une priorité pour nous, résume-t-il. On verra jusqu'à quel point le débat prendra de l'ampleur.»

- Avec Joël-Denis Bellavance 

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Les trois provinces en chiffres

Population / 2012

Nouvelle-Écosse: 947 831

Nouveau-Brunswick: 755 346

Île-du-Prince-Édouard: 146 205

Total: 1 849 382

Résidants dont la langue maternelle est le français / 2006

Nouvelle-Écosse: 3,7%

Nouveau-Brunswick: 32,7%

Île-du-Prince-Édouard: 4,2%

Taux de chômage / 2012

Nouvelle-Écosse: 8,8%

Nouveau-Brunswick: 11,2%

Île-du-Prince-Édouard: 9,4%

Moyenne nationale: 7,2%

Déficit projeté / 2012

Nouvelle-Écosse: 248 millions

Nouveau-Brunswick: 261 millions

Île-du-Prince-Édouard: 79 millions

Dette / 2012

Nouvelle-Écosse: 13,2 milliards ou 13 972$ par habitant

Nouveau-Brunswick: 10 milliards ou 13 300$ par habitant

Île-du-Prince-Édouard: 1,9 milliard ou 12 715$ par habitant

Ontario: 17 391$ par habitant

Québec: 21 157$ par habitant

Députés provinciaux

Nouvelle-Écosse: 52

Nouveau-Brunswick: 55

Île-du-Prince-Édouard: 27

Total: 134 ou 1 député par 13 801 habitants

Québec: 125 ou 1 député par 64 615 habitants

Ontario: 107 ou 1 député par 126 599 habitants

Fonction publique* / 2011

Nouvelle-Écosse: 80 360

Nouveau-Brunswick: 64 175

Île-du-Prince-Édouard: 13 363**

Total: 157 898 ou 1 fonctionnaire par 11,7 habitants

Québec: 667 051 ou 1 fonctionnaire par 12,1 habitants

Ontario: 775 862 ou 1 fonctionnaire par 17,5 habitants

Sources: Statistique Canada, gouvernements du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l'Île-du-Prince-Édouard, Banque Royale

*Les données extraites de Statistique Canada excluent les fonctionnaires fédéraux et municipaux.

**Les données de l'Île-du-Prince-Édouard ne comprennent pas les travailleurs du secteur de la santé.