La grève de la faim de Theresa Spence a eu le mérite de remettre la cause autochtone au premier plan de l'actualité. Quelle est la suite des choses pour le mouvement Idle No More? Saura-t-il obtenir plus que des réunions au sommet et de meilleurs résultats que les leaders autochtones en place dont il se dissocie largement?

Idle No More est un pur produit des médias sociaux et l'illustration même du ras-le-bol des jeunes autochtones, mais il est bien plus que cela. Les femmes autochtones marginales parmi les marginaux jusqu'ici n'avaient jamais tenu à ce point le haut du pavé et on n'avait jamais vu l'ascendance traditionnelle des chefs être autant remise en question.

Ce sont quatre femmes de l'Ouest qui ont lancé le mouvement Idle No More, secondées par la militante Pam Palmater. Au Québec, ce sont aussi deux femmes qui en sont les porte-parole. C'est une autre femme Theresa Spence qui a fait une grève de la faim (non sans un effet boomerang pour son conseil de bande dont les finances ont été passées au crible). À Tout le monde en parle, la fin de semaine dernière, la présidente de l'Association des femmes autochtones du Canada, Michèle Audette, s'est illustrée.

Comment expliquer que ce soit surtout des femmes qui se lèvent? Le fait qu'elles représenteraient les deux tiers des autochtones qui poursuivent des études supérieures peut être un facteur. Rémi Savard, anthropologue, propose une autre réponse. «Les femmes ont été particulièrement maganées, parce qu'elles sont issues de sociétés qui en ont eu, de la misère. En plus, ce mouvement est en bonne partie en réaction aux chefs, et ces chefs sont en grande majorité des hommes.»

Les femmes autochtones bousculent assurément l'ordre établi. Doug Kelly, chef de la Colombie-Britannique, a rappelé en janvier qu'il n'avait pas voté pour Theresa Spence, faisant valoir qu'il ne lui reconnaissait pas la légitimité qu'on semblait lui attribuer. Pam Palmater (pour la petite histoire, arrivée deuxième dans la course à la présidence de l'Assemblée des Premières Nations) s'est fait accuser de semer le chaos parmi les chefs et les leaders de l'Assemblée des Premières Nations.

Vrai, Pam Palmater n'était pas d'accord avec l'idée de rencontrer Stephen Harper au début du mois. Pour elle, pas question de «suivre aveuglément le chemin tracé par Ottawa».

Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec, admet elle que les chefs «sont élus par la population et qu'ils ont un rôle à jouer», mais elle formule de grosses réserves. «Ils sont en négociation depuis des années et ça n'aboutit jamais à rien. De toute façon, nos chefs ne sont pas bien placés pour contester parce que s'ils le font, ils savent très bien qu'ils risquent de voir Ottawa leur couper des fonds.»

«Les mains des grands chefs sont liées et ils sont perçus comme étant trop proches du gouvernement», croit aussi Steve Bonspiel, éditeur du journal The Eastern Door, à Kahnawake.

La dichotomie est évidente: les partisans d'Idle No More réclament de l'action, tandis que c'est patience et longueur de temps pour les chefs qui s'en remettent aux canaux politiques et juridiques habituels, comme le grand chef cri Matthew Coon-Come qui, en janvier, a déclaré qu'il n'avait pas fait le voyage jusqu'à Ottawa simplement pour participer à une manif.

Il y a dissension, «parce que oui, ce sont des peuples normaux qui ne marchent pas tous au pas!», lance l'anthropologue Rémi Savard.

«On pense à nous comme à un bloc monolithique, les Indiens, mais nos réalités sont différentes d'un bout à l'autre du pays et souvent même entre Innus, par exemple», fait aussi remarquer Mélissa Mollen Dupuis, porte-parole québécoise du mouvement Idle No More.

Personne au sommet

On ne parle pas d'une seule voix, donc, et c'est d'autant moins possible qu'à la différence du mouvement étudiant et de ses Martine Desjardins, Léo Bureau-Blouin et Gabriel Nadeau-Dubois, personne n'a été élu à la tête d'Idle No More.

Pam Palmater décrit le mouvement «comme un mouvement populaire organique sans aucune bureaucratie». Pas de leaders élus, pas de politiciens rémunérés, «simplement une série d'organisateurs et de porte-parole d'un bout à l'autre du pays».

D'ailleurs, la porte-parole Mélissa Mollen Dupuis qui raconte «avoir fait les casseroles au printemps» explique être devenue l'un des visages du mouvement au Québec simplement parce qu'elle s'est levée un matin en décidant de faire sauter la barrière linguistique qui privait Idle No More d'une résonance ici.

Cela dit, «je ne suis pas le boss d'Idle No More et je ne veux pas l'être non plus. Des boss, il n'y en a pas, parce qu'aucune voix ne prévaut sur celle d'un autre».

Voudrait-elle parler aux quatre fondatrices du mouvement dans l'Ouest qu'elle ne saurait pas comment le faire: elle a leur courriel, mais aucun numéro de téléphone.

Viable, tout cela? Joel Westheimer, professeur à l'Université d'Ottawa et président d'un groupe de recherche en éducation et en démocratie, rappelle que ce qui a fait la force du mouvement étudiant, «c'est sa discipline et son grand sens de l'organisation».

N'empêche, dit-il, «comme l'a montré le mouvement Occupy, il y a aussi de la place pour des mouvements complètement ouverts, sans hiérarchie claire, ni discipline de parti. À ce moment-là, le risque est plus grand qu'il y ait lavage de linge sale en public, mais cela mène aussi à certains résultats.»

«Il reste que l'une des limites d'Idle No More, c'est qu'il ne s'est pas cristallisé autour d'un message clair», dit M. Westheimer.

La semaine dernière, le Globe and Mail a relevé que le nombre de tweets autour du mouvement qui avait culminé à 56 762 le 11 janvier était en chute libre avec moins de 2000 tweets dans la dernière portion de janvier.

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Idle No More en un coup d'oeil

SES QUATRE FONDATRICES

Nina Wilson,

Sylvia McAdam,

Jessica Gordon,

Sheelah McLean,

toutes de la Saskatchewan



SES LUTTES

Contre les projets de loi omnibus C-38 et C-45 qui réduisent les protections environnementales sur les eaux navigables et modifient la façon de déterminer l'utilisation des terres des réserves. Sont aussi dénoncées la lenteur des négociations territoriales et les conditions de vie difficiles de plusieurs autochtones.

LE LIEN AVEC THERESA SPENCE

Mme Spence a entrepris sa grève de la faim bien après la naissance du mouvement, en octobre. Idle No More a appuyé la lutte de la chef, mais en précisant qu'elle était parallèle à la sienne.