Trois députés conservateurs ont demandé à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) d'enquêter sur certains avortements faits à plus de 20 semaines de grossesse, qui pourraient être, selon eux, des «homicides».

Ils disent viser des cas spécifiques d'avortement: ceux effectués à 20 semaines ou plus de grossesse, lorsque «le bébé serait né vivant et mort peu après», soit en raison d'une absence de soins ou parce qu'un geste mortel lui a été porté.

Les députés d'arrière-ban Maurice Vellacott, Leon Benoit et Wladyslaw Lizon ont ainsi envoyé une lettre - portant l'en-tête de la Chambre des communes - au commissaire de la GRC Robert Paulson, en date du 23 janvier dernier.

M. Vellacott, un député bien connu pour ses positions antiavortement, a publié la lettre sur son site Internet personnel. La version affichée n'est toutefois pas signée par M. Lizon, même si son nom y figure et que celui-ci a affirmé l'endosser.

«Ces meurtres semblent être le résultat de tentatives d'avortement, mais les bébés sont nés vivants», et morts par la suite, expliquent les signataires de la lettre.

Ceux-ci se fient à des données rapportés par le blogue «Run with Life», un site pro-vie, qui précise qu'il y aurait eu 491 de ces cas entre 2000 et 2009.

«Ces incidents semblent être des homicides. Ainsi une enquête policière détaillée est requise et je vous demande de formellement l'entreprendre», est-il demandé au commissaire Paulson.

«Les meurtres d'enfants canadiens pourraient continuer à augmenter si ces crimes apparents ne font pas l'objet d'une enquête, et si les coupables ne sont pas poursuivis en justice», précise-t-on dans la missive.

Le député Benoit, qui avait initialement indiqué aux journalistes qu'il n'y avait pas de lien entre ces bébés morts et l'avortement, s'est ravisé par la suite. Il aurait lu la lettre trop rapidement durant le congé des fêtes, dit-il.

Il a alors indiqué que les cas sur lesquels ils demandaient une enquête sont ceux où un avortement a lieu et où le bébé «naît» néanmoins et meurt «des suites des blessures subies lors de l'avortement».

La recherche contenue dans cette demande écrite à la GRC aurait été effectuée par M. Vellacott, a déclaré M. Benoit, avouant par ailleurs qu'il ne s'attendait pas à ce que cette lettre soit rendue publique.

«Il ne s'agit pas de mes opinions sur l'avortement, a déclaré pour sa part M. Vellacott en entrevue. Il s'agit du Code criminel.»

Il affirme ainsi demander que la loi soit respectée et appliquée.

«S'il est en vie à l'extérieur du ventre de sa mère, il a droit à la pleine protection du Code criminel», précise-t-il, faisant référence à des dispositions du Code qui prévoient qu'une personne commet un homicide lorsqu'un enfant est blessé avant ou durant la naissance, et qu'il meurt en raison de ces blessures après être devenu un être humain.

C'est évidemment la question du moment où le foetus devient un être humain qui est en cause, car ce statut entraîne la protection de la loi.

La GRC n'a pas encore répondu à la lettre, a indiqué M. Vellacott.

Quant au premier ministre Stephen Harper, il a confirmé à maintes reprises qu'il n'avait pas l'intention de rouvrir le débat sur l'avortement.

«Je crois que tous les membres de la Chambre, qu'ils soient d'accord ou non, comprennent que l'avortement est légal au Canada. Ce gouvernement, moi inclus, a fait clairement savoir que le gouvernement n'entend pas changer la loi à ce sujet», a répondu le premier ministre, questionné à la Chambre des communes jeudi.

Pour les partis d'opposition, il est clair que cette lettre des députés conservateurs est une autre tentative visant à criminaliser de nouveau l'avortement.

«Le premier signal que ça envoie c'est que ce dossier-là est pas clos pour vrai pour les conservateurs», estime Françoise Boivin, porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière de justice.

«Le premier ministre peut bien se lever tant qu'il voudra, nous dire que ce n'est pas les plans du gouvernement de réouvrir le dossier. Cependant, à chaque fois qu'il dit ça, quelques minutes après, quelques jours après, il y a toujours un élément de son caucus qui se lève pour faire exactement le contraire et remettre tout ça en question», explique-t-elle.

Le chef du Bloc québécois, Daniel Paillé, y voit une chasse aux sorcières et estime que Stephen Harper devrait rappeler ses députés à l'ordre.

«Je pense qu'à la place du premier ministre je ferais preuve d'autorité dans mon parti et je leur dirais «enough is enough', c'est le temps d'arrêter de parler», a-t-il lancé.

Quant au chef intérimaire du Parti libéral, Bob Rae, il dénonce la méthode des trois députés.

«Je ne crois pas que l'application des lois criminelles au Canada devrait faire l'objet de pressions politiques», a-t-il dit.

Il ne s'agit pas de la première tentative de députés conservateurs de toucher au droit à l'avortement. Par exemple, le député conservateur Stephen Woodworth a récemment présenté une motion pour que soit étudiée en comité la définition de l'«être humain».