Les provinces et les villes devront désormais y penser à deux fois avant d'appeler les militaires à la rescousse. Confrontées à d'importantes compressions budgétaires, les Forces canadiennes comptent désormais facturer leur assistance.

Ce changement adopté discrètement par le ministère de la Défense en juillet 2012 risque d'entraîner une facture salée pour les provinces ou villes qui réclament l'intervention de l'armée, notamment lors de catastrophes naturelles. Si une telle pratique avait été en vigueur lors de la crise du verglas en 1998, le Québec aurait ainsi reçu une facture de 44 millions. Pour les inondations dans la vallée du Richelieu au printemps 2011, il en aurait coûté 3,9 millions.

«Étant donné les réductions budgétaires actuelles, le ministère de la Défense a décidé d'exercer son pouvoir de récupérer les coûts découlant du soutien fourni aux autres ministères du gouvernement s'il le juge nécessaire», explique une porte-parole, Elana Aptowitzer. Ottawa dit ainsi «chercher de nouveaux moyens d'optimiser chaque dollar investi dans le portefeuille de la Défense».

Seuls les coûts supplémentaires entraînés par une opération seront facturés et non les sommes que l'armée aurait déboursées de toute façon, comme les salaires. Le ministère de la Défense évalue ainsi que l'assistance aux sinistrés du Richelieu lui a coûté 23,3 millions, mais que seulement 3,9 millions auraient pu être facturés au Québec. Lors du verglas, la facture de l'intervention de l'armée avait été de 105 millions, mais la province aurait eu à rembourser 44 millions.

Cette décision ne remet pas en question le rôle d'assistance de l'armée, estime Philippe Lagassé, professeur adjoint à l'Université d'Ottawa. Ce spécialiste des questions budgétaires au sein des Forces canadiennes souligne que l'armée doit faire d'importantes compressions budgétaires. Son budget de 20 milliards doit être réduit de 7% à 11%. «On ne veut pas couper dans l'équipement et on n'est pas en mesure de réduire le personnel autant qu'on voudrait, alors l'armée de terre et la force aérienne tentent de couper dans leurs opérations», explique-t-il.

Responsabiliser les provinces

En facturant les provinces et les villes, Philippe Lagassé estime que le ministère de la Défense cherche seulement à les responsabiliser lorsque vient le temps de faire appel aux soldats. Un conflit avait surgi en 2011 lorsque Québec avait demandé de prolonger la présence de l'armée lors des inondations du Richelieu, mais Ottawa avait refusé que les militaires participent aux opérations de nettoyage.

Spécialiste en affaires militaires, Stéphane Roussel estime toutefois que les provinces n'abusent pas de cette aide. Au Québec, l'armée a été appelée à la rescousse à moins d'une dizaine de reprises en 50 ans.

Reste que l'idée de refiler la facture aux provinces circule depuis longtemps, dit Stéphane Roussel, professeur à l'École nationale d'administration publique. Après tout, la sécurité civile est une compétence provinciale et non fédérale.

Stéphane Roussel croit toutefois que cette décision pourrait avoir certains effets pervers. D'abord, les provinces pourraient tarder à réclamer de l'aide en raison de la facture salée qui pourrait leur être envoyée par la suite. De plus, les dernières interventions de l'armée au Québec ayant contribué à en redorer le blason, les Forces canadiennes risquent de perdre ces retombées positives.

Principales interventions de l'armée au Québec

1970 Crise d'octobre

1976 Jeux Olympiques de Montréal

1990 Crise d'Oka

1996 Déluge du Saguenay

1998 Crise du verglas

2011 Inondations du Richelieu