Sans pipelines pour acheminer leurs produits vers les marchés internationaux, les producteurs de pétrole de l'Ouest canadien sont privés de 52 millions en revenus... chaque jour. C'est le chiffre avancé par l'Association canadienne de pipelines d'énergie, qui soutient que l'expansion du réseau canadien profitera aussi aux coffres publics.

Le directeur des affaires externes de cet organisme de Calgary, Philippe Reicher, rappelle que, hormis le marché intérieur, les producteurs canadiens n'ont qu'un débouché pour le brut qu'ils tirent des sables bitumineux: les États-Unis. C'est là que vont 99% des exportations canadiennes de pétrole, qui totalisaient 2,1 millions de barils par jour en 2011.

Or, la production est en pleine expansion dans l'Ouest canadien et dans le nord des États-Unis, grâce au développement des sables bitumineux et du pétrole de schiste. Cette situation a provoqué un véritable raz-de-marée de pétrole brut dans les raffineries américaines.

Cela explique pourquoi un baril de pétrole canadien se négocie au moins 20$ moins cher qu'un baril dit «de Brent», l'indice phare des marchés internationaux.

Pour les producteurs de pétrole canadien, le manque à gagner est colossal. Si chaque baril qu'ils produisent était vendu au prix des marchés mondiaux, ils engrangeraient des revenus supplémentaires de 19 milliards par année, ou 52 millions par jour.

Mettre les bouchées doubles

«Notre voisin du Sud a eu une économie tellement grande et tellement puissante jusqu'à récemment qu'on pouvait les approvisionner sans devoir penser à d'autres marchés, relate Philippe Reicher. Franchement, c'est une chance historique. Mais fondamentalement, c'est quand même dangereux de rester sur cette voie.»

La situation devient d'autant plus pressante pour l'industrie canadienne qu'un rapport de l'Agence internationale de l'énergie a prédit cette semaine que les États-Unis deviendront le premier producteur de pétrole mondial d'ici 2020. Cela forcera l'industrie canadienne à mettre les bouchées doubles pour gagner les marchés internationaux, puisque la demande des Américains risque d'aller en diminuant.

Rien pour aider les producteurs albertains, qui doivent acheminer leur brut sur des milliers de kilomètres pour rejoindre les océans - et de là les marchés internationaux.

Philippe Reicher assure que l'industrie ne sera pas seule à profiter de la manne. Il calcule que le gouvernement fédéral recevra à lui seul 3 milliards par année sous forme de taxes si l'industrie parvient à diversifier ses débouchés.

Il s'inquiète par ailleurs des querelles politiques qui émergent autour des pipelines. La première ministre de la Colombie-Britannique, Christy Clark, a récemment eu une prise de bec très publique avec son homologue albertaine, Alison Redford. Elle a soulevé un précédent en évoquant la possibilité de réclamer une forme de redevance pour permettre au pétrole albertain de transiter sur le territoire de sa province, une perspective qui inquiète plusieurs acteurs du milieu.

«Que ça devienne un jeu de ping-pong ou de tennis politique, c'est clair que c'est problématique, convient Philippe Reicher. Il faut espérer, bien sûr, qu'il y aura une résolution politique.»

L'Association canadienne des producteurs de pétrole n'a pas répondu aux demandes d'entrevue de La Presse cette semaine.