Le mandat d'un commissaire de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a été renouvelé jusqu'en 2015, en dépit d'au moins une plainte portée contre lui par un avocat et de trois décisions défavorables de la Cour fédérale.

Nommé en 2009 par les conservateurs, Edward Aronoff a derrière lui une longue carrière d'avocat en droit civil et commercial. Mais il est loin de faire l'unanimité.

«Je ne connais aucun autre commissaire qui fasse l'objet à la fois de plaintes de nos membres et de décisions défavorables de la Cour fédérale, dit David Chalk, président de l'Association québécoise des avocats et avocates en immigration (AQAADI). C'est exceptionnel et inquiétant.»

Des propos sexistes

La Cour fédérale infirme rarement les décisions des commissaires. C'est pourtant ce qui est arrivé en juin dernier, quand elle a reconnu le caractère sexiste de remarques que M. Aronoff avait adressées à une demandeuse d'asile pakistanaise.

Fatima*, 27 ans, avait fui son pays et les violences de sa belle-famille, qui ont culminé le jour où sa belle-mère l'a aspergée de kérosène. A-t-elle voulu la brûler vive?

Lors de l'audience, M. Aronoff n'en est pas convaincu. Fatima n'a pas vu d'allumettes dans la main de sa belle-mère avant de se réfugier chez des voisins. Et la police pakistanaise n'a pas pris sa plainte.

«Évidemment, si elle vous avait brûlée, je crois que la police aurait eu une attitude différente, non?», lance-t-il à la jeune femme, selon une transcription consultée par La Presse.

Aujourd'hui encore, Fatima est atterrée: «Il parlait comme si j'aurais dû être brûlée vive. J'ai eu l'impression d'être de nouveau au Pakistan.»

Son avocat, Dan Bohbot, a porté l'affaire devant la Cour fédérale, qui a autorisé la jeune femme à présenter sa demande à un autre commissaire. Dans son ordonnance, rendue en juin, le juge Shore estime en outre que «de telles remarques, telles qu'elles sont perçues, n'ont pas leur place dans un tribunal au Canada».

Après une plainte à la CISR classée sans suite contre M. Aronoff, Dan Bohbot, inquiet des réflexions qu'il a faites à plusieurs de ses clients, a de nouveau exprimé ses inquiétudes. Il n'a eu aucune réponse. «Il y a un grossier manque de volonté de la CISR de résoudre le problème», déplore-t-il.

Manque d'empathie

En plus de cette ordonnance rendue par le juge Shore en juin 2012, deux autres jugements de la Cour fédérale ont cassé les décisions de M. Aronoff au cours de l'année 2011. Dans l'un, la Cour lui reproche le «mépris total» des directives de la CISR au sujet la persécution fondée sur le sexe dont il a fait preuve dans ses questions à une jeune fille pakistanaise; l'autre relève «qu'il ne semble avoir eu aucune écoute» vis-à-vis d'un demandeur d'asile iranien.

Mais M. Aronoff n'est pas critiqué que dans les dossiers de demandeurs d'asile déboutés en première instance.

Fabiola* vient d'obtenir le statut de réfugié.

Les sévices dont cette Mexicaine et sa fille Gabriela* ont été victimes sont documentés sur des dizaines de pages. Viols, coups et blessures, harcèlement: le conjoint de Fabiola, fonctionnaire au secrétariat de la Marine, n'a rien épargné à sa femme et à sa propre fille, qu'il a enlevée et cachée pendant 11 mois en 2005. Il l'a même livrée aux appétits sexuels d'un collègue de travail. Elle avait 7 ans.

Pendant près d'un an, Fabiola a remué ciel et terre pour retrouver sa fille, en vain. La police a refusé d'agir. Son conjoint occupait un poste de haut rang dans la fonction publique et l'enlèvement par un parent n'est pas un crime au Mexique.

Malgré les documents fournis à la CISR, M. Aronoff s'explique mal cet épisode et sa durée.

Après une première audience chaotique, à laquelle son avocat de l'époque était mal préparé, Fabiola est de nouveau convoquée à la CISR en septembre.

Sa nouvelle avocate, Anita Martinez, demande alors à M. Aronoff de déclarer Fabiola et sa fille «personnes vulnérables». Cette déclaration, qui n'a rien d'inhabituel dans le cas des victimes de viols et des enfants, fait en sorte que les demandeurs d'asile bénéficient d'un certain ménagement aux audiences. Mais M. Aronoff refuse d'accorder ce statut à Fabiola et à sa fille.

«Je ne comprends pas qu'un commissaire agisse de la sorte», dit Anita Martinez. Elle estime que M. Aronoff manque d'empathie à l'égard des victimes de violence.

Devant le commissaire, Fabiola, elle, revit son cauchemar.

«Il me disait que c'était ma faute si ma fille avait été enlevée; il me demandait ce que j'avais fait pendant 11 mois, se souvient-elle. Le commissaire a la même mentalité que les autorités mexicaines envers les victimes et les femmes: c'est la même agressivité.»

Plaintes

La CISR confirme que la Cour fédérale casse moins de 1% des décisions des commissaires. Selon elle, peu de décisions de M. Aronoff ont été cassées «si l'on tient compte du nombre total de décisions rendues au cours de son mandat».

Seule l'ordonnance du juge Shore critique directement le commissaire, estime la CISR: les autres critiques relevées dans les deux jugements de 2011 s'appliquent au processus décisionnel.

«Tous les commissaires, à la fin de leur mandat, doivent subir une évaluation de rendement rigoureuse et seulement ceux qui reçoivent une évaluation positive seront recommandés par le président pour un renouvellement de leur mandat», explique la CISR.

«Si le fait que la Cour fédérale fasse des remarques négatives au sujet d'un commissaire n'est pas un motif d'évaluation négative, il est difficile de comprendre ce qui peut l'être», s'étonne David Chalk.

Le mandat de M. Aronoff a été renouvelé jusqu'en novembre 2015. Il n'a pas été possible de lui parler pour cet article. La CISR n'autorise pas les commissaires à s'adresser aux médias.

* Les prénoms ont été changés.