Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au coeur de l'actualité et lui pose 10 questions. La onzième question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'est entretenue avec Jack Jedwab, directeur général de l'Association d'études canadiennes (l'AEC) et un des leaders de la communauté anglophone montréalaise.

1 Quelle a été votre réaction à l'attentat du 4 septembre dernier?

Une réaction similaire à celle de l'ensemble de la population québécoise. J'étais en colère contre le geste de cet individu. Quand j'ai entendu la phrase qu'il a dite, je me suis dit: le gars est cinglé. Je ne comprends pas les anglophones qui se dissocient de ce geste. Pourquoi se dissocier d'une chose à laquelle nous ne devons pas être associés? Est-ce qu'un catholique se sentirait concerné si Richard Bain avait dit: j'ai fait ça parce que je suis catholique? S'il était affilié à un organisme ou à un mouvement, la question serait différente, mais là, nous avons affaire à un cinglé.

2 Les gens ont été rapides à calmer le jeu dans les réseaux sociaux, à insister sur les bonnes relations entre anglophones et francophones à Montréal. Ça vous rassure?

Oui, mais ce qui me préoccupe, c'est que cette réaction implique qu'il y a un lien entre les événements de mardi et les relations entre anglophones et francophones à Montréal. Or, à mes yeux, il n'y en a pas, et il faut veiller à ne pas en faire. Ce n'est pas sur cette base que le dialogue doit avoir lieu.

3 Avez-vous perçu les paroles en anglais de Pauline Marois le soir du 4 septembre comme une main tendue aux anglophones?

Oui. J'avais l'impression que c'était écrit dans le discours qu'elle devait prononcer en cas de gouvernement majoritaire mais qu'ils ont décidé de le garder même s'il s'agissait d'un gouvernement minoritaire. Je crois qu'elle ne s'adressait pas seulement aux anglophones de Montréal, mais également au reste du Canada. Maintenant, au-delà des remarques, il faut que Mme Marois fasse des gestes qui reflètent ses propos.

4 À quels gestes pensez-vous?

Comme l'avait fait Lucien Bouchard, elle devrait rencontrer les leaders de la communauté anglophone et être à l'écoute de leurs perceptions. Quand elle parle de citoyenneté ou qu'elle déclare qu'un Québécois qui ne parle pas assez bien français ne devrait pas avoir le droit de se présenter à une élection, elle envoie un mauvais signal aux anglophones. Même chose lorsqu'elle parle de restreindre l'accès au cégep anglophone. C'est bien beau de dire qu'on va respecter les droits des anglophones, mais encore faut-il savoir ce que sont ces droits. Elle doit donc absolument établir un dialogue, car les échanges par médias interposés ne donnent rien de bon.

5 Quel est l'état d'esprit de la communauté anglophone au lendemain de l'élection du PQ?

Ils sont rassurés par les résultats. Le scénario préféré de la majorité des anglophones était une majorité libérale suivie de très loin par la CAQ. Les gens sont soulagés, mais je constate que, dans un segment de la population, il y a une certaine fatigue vis-à-vis des questions linguistiques et constitutionnelles. Ils ont l'impression qu'on ne les écoute pas, que leur point de vue n'est pas important. Plusieurs se demandent, à tort ou à raison, si l'avenir est prometteur pour les jeunes anglophones.

6 Doit-on s'attendre à ce que des anglophones quittent le Québec?

Je ne pense pas qu'il y aura un exode, mais certains jeunes qui terminent leur bac n'envisagent peut-être pas leur carrière ici. Ils ne voient pas les choses de manière très optimiste. J'ai des collègues francophones qui estiment que, lorsque Mme Marois parle de citoyenneté ou d'accommodements, c'est de la rhétorique politique pour faire plaisir à ses militants, que cela ne se traduira par rien de concret. Les anglophones, eux, prennent ces paroles très au sérieux.

7 Pauline Marois a annoncé qu'elle allait proposer une nouvelle loi 101. Vous craignez cette loi?

Je crains que cela crée des tensions entre les deux communautés. Il y a des limites aux effets d'une loi. En voulant la renforcer, on risque de briser l'équilibre qui règne actuellement. Les anglophones ont besoin de sentir que leur identité aussi est reflétée. On ne peut pas imposer le français mur à mur et penser que dans chaque commerce de Montréal, même dans le West Island, les gens vont parler français. Il y a des anglophones à Montréal, et quand ils sont ensemble, que voulez-vous, ils ont tendance à parler anglais entre eux (rires). Bref, il faut trouver un moyen de défendre la langue française sans que les anglophones aient l'impression que cela se fait contre eux. J'ajouterais ceci: j'ai remarqué que les plaintes à l'Office de la langue française sont en hausse lorsque le PQ est dans l'opposition. Les gens se mobilisent et portent plainte pour qu'on puisse dire: voyez, les plaintes sont en hausse. Cette mobilisation a tendance à tomber lorsque le PQ est au pouvoir. Je trouve ça intéressant...

8 Certains emploient le mot «intégrisme» pour qualifier des positions du PQ. Vous trouvez ce mot adéquat?

Je pense qu'il n'est pas bon de généraliser. Il faut regarder cas par cas. Ce n'est pas parce que quelqu'un fait une proposition qui brime les droits de la personne que tout le mouvement est intégriste ou fondamentaliste. Mais un mauvais geste de la part d'une personne bien intentionnée qui n'a pas suffisamment réfléchi peut donner lieu à cette interprétation.

9 La SSJBM établit un lien entre le discours agressif des médias anglophones et l'attentat de mardi. Qu'en pensez-vous?

Cela m'attriste, je trouve dommage que les leaders de cet organisme disent ce genre de choses. Je les soupçonne d'avoir des intentions cachées, comme tous ceux et celles qui utilisent cet incident. Il faut faire très attention à ne pas faire de la politique à partir d'un geste commis par un homme cinglé. Cela dit, je trouve qu'il y a une banalisation de la violence et on l'a vu dans ces élections. Deux exemples: l'image du guillotinage de Jean Charest sur la page Facebook de la femme du candidat péquiste Serge Cardin et le tableau d'Amir Khadir montrant Jean Charest assassiné. On traite ces choses à la légère, on répond que ce ne sont que des symboles, mais je trouve que ça reflète bien cette banalisation.

10 Et vous observez cette violence seulement dans la communauté francophone?

J'observe la même chose dans les deux communautés et je condamne tout autant les affiches de Mme Marois sur lesquelles on a dessiné une moustache ou un swastika. J'irais plus loin et j'attribuerais cela au manque de filtrage dans les médias sociaux, où on peut lire beaucoup de messages xénophobes ou haineux. C'est un phénomène qui dépasse le Québec. Dans le courrier des lecteurs, on fait un tri, mais dans les réseaux sociaux, les gens disent n'importe quoi, ils s'alimentent entre eux et c'est malsain.

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Est-ce que les anglophones du Québec reconnaissent le statut précaire du français en Amérique du Nord?

Je pense qu'ils sont assez divisés là-dessus. Les anglophones du Québec sont très favorables aux mesures pour soutenir les minorités francophones à l'extérieur du Québec mais ne pensent pas que le français est menacé à Montréal. Au fond, c'est une question d'attentes. Les anglophones comparent la situation à ce qu'elle a déjà été, alors que les francophones, eux, évaluent la situation du français par rapport à un idéal. Les deux ont raison.