Les immigrants francophones frappent un mur dès qu'ils se mettent à la recherche d'un emploi à Montréal: pas d'anglais, pas d'emploi. C'est alors que Québec vient à la rescousse, en consacrant des millions de dollars de fonds publics pour angliciser les immigrants francophones, selon une recherche effectuée par La Presse Canadienne.

Il est reconnu de tous que l'emploi est la clé pour réussir l'intégration d'un immigrant. Bien que la loi 101, adoptée en 1977, devait faire du français «la langue normale et habituelle» du travail au Québec, il semble que la clé de l'intégration des nouveaux arrivants demeure, 35 ans plus tard, une clé anglaise.

Quand ils débarquent à Montréal, les immigrants sont souvent mal informés de la réalité linguistique du marché du travail. «Ils ne savent pas à quel point c'est parfois incontournable, quand on voit les offres d'emploi», de connaître l'anglais, estime le directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), Stéphane Reichhold.

Cette ignorance trouve écho dans le malaise que semble susciter cette question au gouvernement. Car l'anglicisation aux frais de l'État des immigrants francophones est un phénomène mal documenté et pratiquement tabou, même si trois ministères (Immigration, Éducation et Emploi) conjuguent leurs efforts pour faciliter la tâche aux immigrants qui se sentent tenus de maîtriser l'anglais pour travailler au Québec. Impossible, donc, de tracer un portrait global de la situation, puisque personne ne centralise l'information à ce sujet.

«C'est un peu tabou. Tout le monde fait ça un peu discrètement», convient M. Reichhold.

Le malaise tient au fait que, d'une main, Québec mise sur l'accueil d'un plus grand nombre de francophones pour assurer la pérennité du français, tandis que, de l'autre main, on les anglicise pour qu'ils répondent aux besoins d'un marché du travail où fleurit le bilinguisme.

Chez Emploi-Québec, l'apprentissage de l'anglais fait partie des mesures d'employabilité offertes aux immigrants lorsque la connaissance de l'anglais est jugée nécessaire pour occuper l'emploi convoité.

Ainsi, depuis 2008, 1095 immigrants, nouveaux arrivants (depuis moins de cinq ans au Québec) et réfugiés, ont eu droit à des cours d'anglais. Coût de la facture pour les contribuables: 2,1 millions $.

Les données, obtenues en vertu de la loi d'accès à l'information auprès d'Emploi-Québec, ne sont pas disponibles pour les années antérieures, car elles n'étaient pas comptabilisées. Personne au ministère n'a pu expliquer pourquoi.

Une forte proportion (296) des immigrants qui ont bénéficié de ce programme habitaient Laval et environ le quart (255) Montréal. La ville de Québec -francophone à 95%- arrive troisième, alors que le ministère a consacré 235 186$ de fonds publics depuis 2008 pour angliciser près de 200 immigrants de la capitale.

Fournie par le ministère, la liste (non exhaustive) d'emplois et de secteurs d'activités qui donnent accès aux cours d'anglais est longue: télécommunications (directeur de la transmission, installateur-réparateur), informatique (programmeur, concepteur Web, agent de soutien aux utilisateurs), services financiers (analystes financiers, représentants au service à la clientèle), secrétariat (secrétaire médicale ou juridique), ingénieur, technicien en génie civil, métiers de la construction, aéronautique (mécanicien et technicien de contrôle d'avionique), services (planificateur de congrès ou d'événements spéciaux, représentant en publicité, guide touristique, agent de voyage).

Un sur quatre

À son arrivée à Montréal, un immigrant sur quatre -environ 13 000 personnes par année- ne peut s'exprimer en anglais. Un sur cinq -plus de 10 000 personnes par an- ne parle ni français ni anglais.

Chez les nouveaux arrivants, le taux de chômage était de près de 20% en 2011, soit plus du double de celui de la population en général, bien qu'ils soient plus scolarisés que la moyenne des Québécois.

Québec cherche donc, par divers moyens, à augmenter leurs chances de décrocher un emploi, surtout s'ils sont qualifiés.

«Au Québec, plus on monte d'échelons, plus l'anglais est nécessaire», constate M. Reichhold.

Le ministère de l'Immigration intervient par l'entremise d'organismes communautaires qu'il finance, tandis que le ministère de l'Éducation contribue au dossier à travers les commissions scolaires, qui prêtent gracieusement le personnel enseignant aux centres d'éducation des adultes et aux organismes communautaires qui offrent des cours d'anglais aux immigrants.

Québec verse quelque 18 millions $ par an aux organismes communautaires qui offrent divers services d'intégration à l'emploi, de francisation et, dans certains cas, des cours d'anglais.

L'un d'eux, l'organisme CARI Saint-Laurent, à Montréal, enseigne l'anglais à 80 immigrants et réfugiés francophones depuis un an, et ce, quasi gratuitement (ils ne payent que l'inscription et leur manuel).

Un autre, La Maisonnée, à Montréal, offre aussi une série de services, dont des cours de francisation et des cours d'anglais à 80 immigrants francophones par an, niveau débutant et intermédiaire.

Dans les deux cas, le personnel enseignant est payé et fourni par la commission scolaire English Montreal.

Le Centre d'éducation des adultes Marymount, à Montréal, qui relève de cette commission scolaire, fait partie des institutions très actives en ce domaine. Il dispense des cours d'anglais à quelque 2000 immigrants francophones par an, en ses murs, sans compter le prêt d'une dizaine d'enseignants à au moins cinq organismes communautaires qui leur offrent des cours d'anglais.

Pour les nouveaux arrivants, «la priorité, c'est de trouver un travail, et ils trouvent qu'ils ont besoin d'anglais pour trouver un travail», explique la directrice du Centre Marymount, Cynthia Koomas.

Dans un contexte où Québec accueille un nombre croissant d'immigrants (plus de 50 000 par an) et une proportion à la hausse de francophones, la demande pour l'apprentissage de l'anglais ira à l'avenant et risque de devenir un enjeu important au cours des prochaines années, selon M. Reichhold.