L'année 2012 débute sous le signe de l'inquiétude financière pour de nombreux locataires d'habitations coopératives ou à loyer modique de la province: les ententes financières contractées il y a plus de 25 ans avec le gouvernement fédéral arrivent cette année à échéance partout au Canada. La moitié des locataires de logements sociaux pourraient donc être privés, dans les prochaines années, des subventions dont ils bénéficient pour payer leur loyer.

À la fin de la période de remboursement des emprunts hypothécaires, il était convenu que les projets immobiliers se financeraient par eux-mêmes, à partir des loyers mensuels des résidants. Un scénario irréaliste, selon l'organisatrice communautaire du FRAPRU, Marie-Josée Corriveau, qui pourrait entraîner des conséquences financières graves pour les locataires dont le loyer est maintenu à 25% de leur revenu, notamment grâce aux subventions de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL).

«Dans bien des cas, ces subventions ne pourront pas être déboursées par les fonds de roulement des projets immobiliers, moins riches que prévu au départ. Les dépenses de ces organismes ont beaucoup augmenté, alors que leurs revenus n'ont pas suivi, déplore-t-elle. D'ici 2030, plus de 80% des logements coopératifs sans but lucratif (OSBL) et publics (HLM) du Québec seront privés de leurs subventions fédérales.»

C'est que les habitations à loyer modique sont moins riches que prévu: les dépenses reliées aux frais d'entretien et de rénovation des logements tendent à s'accroître avec le vieillissement des immeubles. À la coopérative Le retour à l'école, la seule rénovation des balcons a coûté environ 75 000$, comme en témoigne Dominique Gendron, résidante et administratrice de cette coopérative de 38 logements située dans le quartier Rosemont-La Petite-Patrie.

«Nous manquons de revenus pour assurer à la fois l'entretien de l'immeuble et le financement de plus de six locataires à faible revenu. Dans cinq ans, lorsque notre convention avec la SCHL prendra fin, nous devrons faire le choix de continuer ou non de subventionner nos locataires les moins nantis. Certains locataires se préparent déjà à l'éventualité de devoir quitter la coopérative.»

Les revenus diminuent

De plus, puisqu'elles sont financées en fonction du taux hypothécaire, les coopératives ont essuyé une baisse soudaine de revenu en 1987 et en 1992, lorsque les taux d'intérêt ont diminué. «L'aide assujettie au contrôle des revenus, une subvention qui nous permettait de subventionner le loyer de 50% de nos locataires a soudainement diminué de moitié en 1987, puis a cessé en 1992, explique Dominique Gendron. Dès lors, nous avons dû commencer à retirer de l'argent de notre fonds de roulement pour aider nos locataires subventionnés».

Tous les ans, en moyenne deux OSBL d'habitation font faillite au Québec, et ce nombre devrait croître dans les prochaines années, prévoit le directeur du Réseau québécois des OSBL d'habitation (RQOH), François Vermette. «Les logements menacés par la fin des conventions sont ceux destinés en majorité à une clientèle défavorisée. Les petits loyers dont ils bénéficient sont souvent insuffisants pour assurer l'entretien du bâtiment. De plus, les organismes n'ont pas les fonds nécessaires pour être admissibles à une deuxième hypothèque. Ils doivent donc fermer et vendre.»

Le directeur du RQOH s'inquiète de voir plusieurs logements sociaux «couler» à partir de 2012, car certains organismes éprouvent déjà des difficultés financières. Bien que la SCHL dispose d'un plan de sauvetage destiné aux organismes dans le besoin, elle délie trop peu les cordons de sa bourse pour sauver tous les projets dans le besoin, constate François Vermette.

Aucun plan d'aide à long terme

Pour le moment, ni la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), ni la Société d'habitation du Québec (SHQ) n'ont prévu de plan financier pour compenser la cessation des subventions fédérales. Les deux instances affirment qu'elles étudient actuellement les besoins des ménages à faible revenu.

«Des 40 000 logements financés par le fédéral, peut-être 3000 seront véritablement dans le besoin, soutient le directeur de la planification, de la recherche et du développement à la SHQ, Hubert de Nicolini. La SHQ permet la création annuelle d'environ 2500 nouveaux projets de logements sociaux et abordables au Québec, en plus d'octroyer des subventions à quelque 20 000 ménages québécois dans le besoin.»

Depuis 1994, Ottawa a cessé de financer la création de nouveaux logements sociaux. Ce retrait qui va en s'accélérant avec l'arrivée à échéance des conventions n'a pas été compensé par les efforts de Québec, si l'on en croit une étude de la Confédération québécoise des coopératives d'habitation (CQCH). En 2001, les coopératives québécoises logeaient 38% de ménages dont le revenu est inférieur à 15 000$ par année. En 2011, il ne reste plus que 30% de ménages pauvres aidés dans le cadre de l'habitation coopérative.

De plus, on ignore comment seront réinvestis les 1,7 milliard dépensés annuellement par le fédéral lorsque les conventions seront toutes échues. La SCHL refuse de se prononcer sur le sujet.

Augmentation des loyers

Une des solutions dont disposent les projets vacillants est d'augmenter les loyers des logements, explique la directrice de la Confédération québécoise des coopératives d'habitation (CQCH), Jocelyne Rouleau. «Dès lors, la mixité socio-économique à l'origine du principe de la coopération est remise en cause. Si le gouvernement provincial ne prend pas le relais du fédéral pour assurer une aide financière aux organismes, beaucoup ne pourront plus offrir de logements sociaux subventionnés, mais uniquement du logement abordable destiné à une clientèle plus fortunée», prévoit-elle. D'autant plus qu'à l'échéance des conventions, les administrateurs de coopérative ne seront plus tenus de loger un minimum de 15% de locataires à faibles revenus, comme ils le sont sous l'égide des contrats avec la SCHL.

«À l'aide de mécanismes de financement adéquats et réfléchis à l'avance, la plupart des projets devraient survivre, estime le coordonnateur de l'Association des groupes de ressources techniques du Québec (AGRTQ), Marcellin Hudon, qui refuse de tomber dans le catastrophisme. La solution est d'emprunter aux banques.» Cependant, si l'on s'en remet au privé pour subventionner les logements sociaux et abordables, reconnaît-il, les institutions financières risquent d'exiger l'augmentation des loyers.