Après les associations policières et les groupes de victimes, c'est un haut fonctionnaire du gouvernement lui-même qui s'inquiète de l'abolition du registre des armes d'épaule.

Une note interne du gouvernement fédéral prévient que la destruction des données du registre des armes d'épaule pourrait entraîner une recrudescence du trafic illégal des armes à feu au Canada.

L'abrogation du registre entraînerait une diminution de la vigilance du personnel douanier en ce qui a trait au contrôle des armes à la frontière, peut-on lire dans la note.

Le document, qui se retrouve sur le site Internet de l'Association canadienne des propriétaires d'armes à feu, a été obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Il a été rédigé par Mark Potter, un haut fonctionnaire du ministère de la Sécurité publique, à l'attention d'un sous-ministre adjoint, alors que le débat entourant l'abolition du registre des armes d'épaule faisait rage aux Communes l'an dernier.

Témoignant devant le comité parlementaire de la Sécurité publique mardi, le ministre Vic Toews a donné bien peu de crédit à l'analyse de son haut fonctionnaire.

«En regardant cette note, il est clair que l'analyse présentée par ce fonctionnaire est fausse au niveau des faits et incorrecte», a tranché le ministre Toews.

«En fait, nous avons augmenté les peines pour l'importation illégale d'armes à feu. Et je peux simplement dire que les Canadiens nous ont donné un mandat fort pour mettre un terme à ce registre des armes d'épaule coûteux et inefficace», a-t-il lancé.

Les partis d'opposition ont trouvé fort peu élégant que le ministre rejette de la sorte l'avis rédigé par son propre fonctionnaire.

«Je trouve ça intéressant qu'il rejette du revers de la main les conseils, les connaissances et l'analyse de gens qui travaillent pour lui, qui sont très qualifiés», a signalé le libéral Francis Scarpaleggia.

«Il va détruire le messager au lieu d'essayer de voir l'importance du message», a renchéri sa collègue néo-démocrate Françoise Boivin.

La note explique que les armes qui entrent au Canada doivent passer par un processus de vérification afin de confirmer que les importateurs détiennent les permis nécessaires pour détenir de telles armes.

L'Agence des services frontaliers n'est pas «formée» pour le faire, pas plus qu'elle en a l'obligation, selon le document. En conséquence, des armes illégales ou interdites pourraient entrer au Canada, de façon intentionnelle ou pas. M. Toews n'a pas spécifié comment le processus de vérification fonctionnera dans le futur.

Le projet de loi C-19 entraînera notamment la suppression de plus de sept millions de documents concernant les propriétaires d'armes d'épaule. Plusieurs provinces, dont le Québec, ont demandé au gouvernement fédéral de leur transférer les données avant qu'elles ne soient détruites, afin de mettre sur pied leur propre registre. Leur appel n'a pas été entendu par Ottawa.

«Le registre, ce sont les données. Sans les données, il n'y a pas de registre», a martelé le ministre Toews. Selon lui, ses adversaires confondent «contrôle des armes à feu» et «registre», le premier pouvant à son avis se faire sans l'aide du deuxième. Il prétend qu'il n'y a aucune preuve que le registre des armes d'épaule «a stoppé un seul crime ou sauvé une seule vie».

Au cours du comité, le libéral Scarpaleggia a évoqué le problème des rappels d'armes, qui peuvent actuellement survenir quand la police apprend qu'une arme peut être modifiée afin d'être encore plus dangereuse.

«Comment pourra-t-elle le faire sans les adresses des propriétaires d'armes qui sont dans le registre?», a-t-il demandé.

Selon le ministre, il reviendra aux vendeurs d'armes d'ouvrir leurs livres et de fournir les noms de leurs clients via un mandat de la police.

«Vous me dites que ce sont les propriétaires de magasins qui tiendront maintenant le registre des armes à feu?», s'est indigné M. Scarpaleggia.

Avec l'élection d'un gouvernement majoritaire aux dernières élections fédérales, le 2 mai dernier, les conservateurs de Stephen Harper ont fait de l'abolition de ce registre une de leurs priorités.

Il ne reste d'ailleurs que quatre réunions du comité pour revoir le projet de loi dans son ensemble, avant qu'il ne soit renvoyé en Chambre en troisième lecture. Si les conservateurs imposent le bâillon, il sera adopté à coup sûr avant Noël.