Alors qu'il est en train de négocier le remboursement d'une part de l'argent qu'il a empoché dans le cadre du scandale des commandites, l'ex-président du Groupe Polygone, Luc Lemay, est embourbé dans un nébuleux fiasco financier à Laval où il prétend avoir perdu 21 millions de dollars.

M. Lemay affirme que ses déboires liés à une entreprise de systèmes de sécurité en déroute ne compromettent pas sa capacité à rembourser les contribuables canadiens. Il confirme toutefois que ses finances sont durement éprouvées. Un document de cour rédigé par un syndic de faillite et obtenu par La Presse le décrit même comme étant «à court de liquidité».

Les déboires de l'ancienne «vedette» de la Commission Gomery découlent des difficultés d'Exeo, une firme lavalloise qui a développé trois prototypes de systèmes de sécurité pour gestionnaires d'immeubles n'ayant pas encore été mis en marché.

L'entreprise a été fondée en 2003 et selon les époques, elle a compté entre 5 et 40 employés.

Quelques années plus tard, en quête de financement pour poursuivre le développement de leur technologie, les fondateurs de l'entreprise ont fait appel à Luc Lemay.

De fil en aiguille, et à travers un enchevêtrement d'entreprises à numéro détenues par sa conjointe, mais administrées par lui, Luc Lemay s'est retrouvé actionnaire majoritaire d'Exeo.

Acculée à la faillite

En mars dernier, ayant accumulé une dette de plus de 18 millions de dollars, l'entreprise s'est placée sous la protection de la Loi sur les faillites et l'insolvabilité. Elle a jusqu'au 28 septembre pour s'entendre avec ses créanciers. Certains employés n'auraient pas touché de salaire pendant plus de 10 semaines.

«À court de liquidités et ayant perdu confiance dans l'administration en place, l'investisseur principal a pris la décision de ne plus investir de sommes d'argent additionnelles dans la société», écrit le syndic de faillite Groupe Serpone au sujet de Luc Lemay, dans une requête déposée en Cour supérieure.

Pour compliquer le tout, Luc Lemay est maintenant en conflit ouvert avec Paul Fafard, un des fondateurs de l'entreprise qui se retrouve aujourd'hui actionnaire minoritaire. Les deux parties s'accusent mutuellement d'avoir acculé l'entreprise à la faillite dans l'espoir de pouvoir effacer les dettes et racheter à bas prix la technologie des systèmes de sécurité.

Dans une poursuite contre son partenaire, M. Fafard accuse Luc Lemay d'avoir promis d'importants investissements dans Exeo grâce à la vente de terrains, investissement qui ne se sont jamais concrétisés.

Dans un entretien téléphonique, Luc Lemay a rétorqué avoir injecté énormément d'argent dans l'aventure, au point d'y perdre une fortune.

«Il y a seulement un gars qui a mis 21 millions là-dedans, et c'est moi. S'il y a quelqu'un qui s'est fait flouer, c'est bien moi. Les autres n'ont pas mis 5 cennes là-dedans», dit-il.

Contrat de délateur

L'ampleur de ces pertes risque d'être suivie de près par plusieurs personnes à Ottawa au cours des prochaines semaines. Selon ce que révélait récemment le Globe and Mail, la fortune de l'homme d'affaires est au coeur de négociations secrètes avec le gouvernement fédéral.

Le quotidien affirmait le 23 juillet que l'ex-président de Polygone négociait pour devenir délateur et témoigner contre un autre acteur clé du scandale des commandites, Jacques Corriveau.

Selon le journaliste Daniel Leblanc, qui avait levé le voile sur le scandale des commandites à l'époque, Luc Lemay demanderait l'immunité contre toute poursuite criminelle. Il accepterait ensuite de verser un certain montant au gouvernement fédéral, possiblement entre 8 et 10 millions sur les 37 millions que ses entreprises avaient reçus dans le cadre du Programme des commandites.

Au cours de notre entretien, Luc Lemay a refusé de commenter ces affirmations. Il concède toutefois que l'auteur de l'article «a de bonnes sources».

«Ma Chouette, peut-être qu'elle travaille encore au gouvernement», laisse-t-il entendre, dans une phrase lourde de sens. Ma Chouette était le nom de code donné au dénonciateur anonyme qui a alimenté le Globe and Mail en révélations explosives - et véridiques - sur les commandites.

«Avec mes avocats, tout est sous contrôle», insiste M. Lemay. Il dit attendre «plusieurs millions» de dollars en crédits d'impôt pour la recherche et le développement, ce qui devrait l'aider à relancer Exeo. Il assure aussi avoir les «poches encore profondes», même si «je les avais plus profondes avant», dit-il.