Au lendemain du dévoilement par Pétrolia d'un possible gisement de 30 milliards de barils de pétrole dans leur île, les Anticostiens sont divisés.

Si certains caressent l'espoir que la venue de la société pétrolière de Rimouski relance l'économie de la petite communauté de 230 habitants, d'autres craignent que l'exploitation mette en péril l'écosystème de l'île, réputée chez les villégiateurs et les chasseurs pour son cheptel de quelque 160 000 cerfs de Virginie.

Résidant d'Anticosti depuis 10 ans, Marc Lafrance fait partie des plus farouches opposants à l'exploitation pétrolière. Il a créé une page Facebook, baptisée Anticosti vs pétrole, pour dénoncer les visées de l'entreprise. «Est-ce qu'on va permettre que, pour quelques années d'exploitation, elle vienne détruire le territoire à jamais? dit-il à La Presse. L'île est faite de roches calcaires; elle est fracturée de bord en bord. Les risques sont immenses. S'il y avait une fuite, où le pétrole aboutirait-il? Dans une rivière à saumons? Sur le bord de la mer? Une fois la dernière goutte puisée, Pétrolia va sacrer le camp en laissant l'île dans quel état?»

Nouveaux emplois?

Tous les insulaires ne voient pas les choses d'un aussi mauvais oeil. Le président et chef de la direction de Pétrolia, André Proulx, a rencontré les résidants il y a quelques mois pour répondre à leurs questions. Selon le maire de la municipalité de L'Île-d'Anticosti, Denis Duteau, plusieurs sont sortis enthousiastes de la rencontre. «La création de nouveaux emplois à long terme est attirante pour les gens de l'île. La chasse et la pêche sont en perte de vitesse; il n'y a pas de relève pour ces activités au Québec. Il faut regarder toutes les options qui s'offrent à nous pour diversifier notre économie.»

«C'est faux de penser que Pétrolia va créer des emplois», lance un travailleur saisonnier qui préfère garder l'anonymat. Depuis trois ans, il passe six mois par année dans l'île. «L'été dernier, ils sont venus faire de l'exploration et, plutôt que de passer par Port-Menier, ils ont installé leur barge dans le secteur de Rivière-aux-Saumons. Ils ont sorti leur matériel, puis ils sont repartis. On ne les a jamais vus!»

À l'heure actuelle, l'employeur le plus important d'Anticosti est la Société des établissements de plein air du Québec (Sépaq), qui gère plus de la moitié des 8000 km2 de l'île. Pierre Pitre, directeur de la Sépaq à Anticosti, préfère attendre avant de crier au loup, même s'il sait que la vocation touristique de l'île se conjugue mal avec l'exploitation pétrolière. «Ce n'est pas très attirant pour les visiteurs. Mais l'exploitation forestière non plus, et pourtant il s'en fait, dans l'île, avec un minimum de désagréments.»

Immense territoire

Il faut dire que l'île est grande. D'une pointe à l'autre, elle couvre la distance entre Montréal et Québec. «L'exploitation ne se fera pas au bord de la mer ni près de la chute Vauréal, dit Denis Duteau. Il est possible que ça se fasse de façon intelligente.»

«Je suis réaliste. S'il y a du pétrole à Anticosti, il va être exploité un jour ou l'autre. On ne pourra pas faire autrement. Au bout du compte, c'est le ministère des Ressources naturelles qui va prendre la décision. Nous allons jouer notre rôle de chien de garde afin qu'on ne sacrifie pas la beauté de l'île pour de l'argent.»