Le feuilleton des accommodements raisonnables et le désormais célèbre code de vie de Hérouxville ont suscité chez les diplomates américains en poste à Montréal des commentaires aussi lucides qu'acerbes sur la minorité «pure laine», les médias et même Mario Dumont, «le premier à avoir saisi cette patate chaude» à des fins purement «électoralistes».

C'est ce que l'on comprend à la lecture de deux longs câbles diplomatiques classés «délicats». Rédigés probablement en 2007 par le consulat des États-Unis à Montréal, ils ont été remis à La Presse par WikiLeaks.

Visiblement bien renseigné, l'auteur de ces deux rapports décortique la saga des accommodements raisonnables, recense les différents incidents qui ont fait les manchettes et cristallisé le débat, en plus de se livrer à des observations plutôt critiques. Il remonte même dans l'histoire du Québec, s'attardant sur la Révolution tranquille et le rejet soudain de la religion. Toujours afin de situer le débat dans son contexte, il consacre un long passage au faible taux de natalité des Québécois qui a entraîné une politique d'immigration active. Le diplomate qualifie d'ironique le fait que la fonction publique québécoise est un mauvais élève chronique au chapitre de l'emploi des immigrés.

Le diplomate s'intéresse beaucoup à la «dimension politique» de ce débat, qui «pourrait être attribué à de l'opportunisme politique de la part de candidats qui ont considéré ce sujet comme un enjeu électoral facilement manipulable et capricieux», commente-t-il. Il rapporte aussi que ce débat a révélé les «préoccupations profondes de la société québécoise à propos de l'intégration des immigrés» en plus d'illustrer des «différences immenses sur la façon dont sont perçus le multiculturalisme et l'immigration chez les Québécois urbains et les ruraux».

«Fureur du public et frénésie médiatique»

Mario Dumont, alors chef de l'ADQ, est visé à plusieurs reprises dans ces pages. Par exemple: «Mario Dumont a joué sur les angoisses sous-jacentes, touché une corde sensible chez les Québécois de souche et, disent certains, obtenu une popularité sans précédent pour son parti».

On y lit aussi que Jean Charest a créé la commission Bouchard-Taylor pour «répondre à la fureur du public et à la frénésie médiatique».

Évidemment, les Américains se penchent aussi sur le cas de Hérouxville, décrite comme une «ville éloignée» habitée par une seule famille noire perdue au milieu d'une «population exclusivement blanche et catholique». Elle est devenue le «centre de la controverse lorsque son conseil municipal a adopté un code de conduite pour les immigrés, apparemment à l'intention des musulmans». L'auteur précise que ce code qui interdit de se voiler la tête n'est pas «applicable aux religieuses catholiques». André Drouin, celui par qui le scandale est arrivé, sera toutefois déçu d'apprendre que son nom n'est cité nulle part.

Toutes les controverses qui ont alimenté la crise n'ont pas été oubliées. Cela va de l'affaire de la jeune joueuse de soccer expulsée à cause de son hijab aux vitres givrées du YMCA de l'avenue du Parc en passant par l'épisode de la cabane à sucre où l'on aurait modifié le menu traditionnel pour permettre à sa clientèle musulmane de découvrir cette «tradition chère au coeur des Québécois». Sauf que, pour être certain d'être bien compris par ses homologues à Washington, le diplomate est forcé de se livrer à une description détaillée de ce qu'est une «cabane à sucre» (en français dans le texte) ou sugar shack, «institution québécoise servant de la nourriture du style tourtière et fèves pendant la saison des sucres».