«Nous avions une convention collective en béton, mais ça n'a rien empêché. Quand on a été mis en lock-out, du jour au lendemain, elle est tombée, notre convention. Dans nos rangs, il y a une désillusion globale face à tout ce qui est syndicalisme. On dirait qu'on est devenu allergique à ce sujet.»

Journaliste économique, Yvon Laprade fait partie de ceux qui ont été mis à la rue par Quebecor, et qui subit aujourd'hui l'agonie de Rue Frontenac. Il dit vivre deux deuils à la fois: celui de son emploi et celui de son satut de fier syndiqué.

Après Walmart, qui a fermé sa succursale de Jonquière avec la bénédiction de la Cour suprême et Couche-Tard, qui a fermé un dépanneur en voie de se syndiquer, le dénouement du conflit au Journal de Montréal témoigne-t-il du fait que les syndicats sont désormais impuissants?

Yvon Laprade hésite à l'analyser ainsi. «Notre conflit avait sa personnalité propre. Il était la résultante d'un aboutissement de fortes tensions, de deux camps très déterminés à s'attendre au coin de la rue.»

Bien longtemps avant le lock-out, «en pratiquant un syndicalisme parfois abusif», puis «en faisant bien du vacarme et en sortant nos trompettes», «nous avons donné du carburant à Pierre Karl Péladeau. En même temps, nous serions restés discrets et pacifiques que le lock-out serait arrivé quand même.»

«Nous avons commis des erreurs, la CSN, mais celui qui nous a mis dehors, c'est Pierre Karl Péladeau.»

Pendant le long conflit, M. Laprade sentait bien, malgré toute la délicatesse dont a fait montre son entourage, que les batailles syndicales n'ont pas trop la cote. Il sentait bien qu'au-delà des bons mots de compassion, «il s'en trouvait bon nombre pour penser que si on était dehors, c'était un peu de notre faute».

De rares conflits

Pour Michel Grant, professeur associé en relations de travail à la CSN, le paysage syndical a certes beaucoup changé. Jamais les conflits de travail n'ont-ils été aussi rares. «La grève et la menace de grève, ça n'a pas plus le même impact. Et c'est sûr que de faire des batailles pour réclamer des augmentations de salaire, comme à une certaine époque, et d'en faire aujourd'hui pour sauver des jobs, ce n'est pas pareil. Quand j'ai entendu Gérard Deltell parler de la «toute-puissance syndicale» je me suis demandé de quoi il parlait...»

«L'heure est aux batailles défensives, poursuit M. Grant, mais ça ne veut pas dire que les syndicats sont devenus futiles. Au contraire, ils sont peut-être plus nécessaires que jamais, puisqu'il s'agit aujourd'hui d'endigner les reculs, les pertes d'emplois.»

Gérald Larose, ex-président de la CSN, croit en effet qu'on en est à préserver les acquis, un état de choses provoqué en grande partie par le fait que la Chine «a été transformée en usine planétaire qui crée une concurrence déloyale».

«On fait faire des objets à des gens qui sont rendus à l'état d'esclavage, mais cela aussi a ses limites.»

M. Larose en veut pour preuve ces grèves et sorties d'usine qui se font deux fois plus nombreuses en Chine.

«En ce sens, on en est à une fin de cycle, à mon avis, et ce type d'exploitation éhonté va se terminer.»

Pour l'heure, ce qui se passe là-bas affecte inévitablement le rapport de force ici, mais pas besoin d'aller chercher si loin. Pour lui, la clause anti-scabs, inscrite dans la loi «pour créer un équilibre propice à la conclusion d'ententes» «n'existe plus», mise au pilori qu'elle a été, «vidée de son sens par une interprétation d'une paresse et d'une ignorance crasses».

Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat, est de l'avis contraire. La loi anti-scabs a été parfaitement interprétée, et non, les patrons n'ont pas, ces années-ci, de «free pass».

C'est bien beau de dire «que le patron, c'est le méchant et que les syndicats défendent la veuve et l'orphelin», mais il faut, selon lui, voir les choses en face.

Évoquant les difficultés économiques récentes et les fonds de retraite qui en ont pris pour leur grade, M. Dorval rappelle que bon nombre d'employeurs ne peuvent plus continuer comme cela, qu'ils doivent réduire leurs coûts, à défaut de quoi ils devront fermer les portes de leurs entreprises.

Pour lui, il ne fait aucun doute que le Code du travail continue de favoriser les syndicats.