Les orignaux n'aiment pas particulièrement les routes. Mais ils aiment le sel. Au printemps, à la fonte des neiges, et à l'automne, aux premières chutes de neige fondante, les fossés regorgent d'eau souillée par le sel de déglaçage répandu sur les routes. Les concentrations de sodium qu'y trouvent les orignaux sont jusqu'à cinq fois plus élevées que dans les plantes aquatiques qu'ils mangent.

«C'est comme s'ils avaient le choix entre manger des herbes aquatiques toute la journée et passer au McDonald's du bord de la route, où ils peuvent se rassasier en 15 minutes», illustre Paul Grosman, étudiant à la maîtrise à l'Université Concordia, qui a créé un modèle informatique pour tester le comportement des orignaux en lien avec la présence de sel dans leur habitat naturel.

Selon les simulations réalisées avec ce modèle, M. Grosman estime qu'en éliminant les «mares salines» créées par la diffusion du sel dans les fossés et la flore, on pourrait réduire de 79% le nombre d'orignaux près des routes.

La mesure sera encore plus efficace, ajoute-t-il, si l'on s'abstient de créer une mare saline de compensation à proximité de celles qu'on élimine en bordure des routes. Car non seulement les orignaux se délectent du sel, mais ils se souviennent aussi des meilleurs endroits où s'en procurer. Ainsi, s'ils trouvent une bonne source de sodium, dont ils ont besoin dans leur alimentation, ils peuvent y revenir jusqu'à cinq fois par été.

«Les mares salines sont la première cause des collisions avec des orignaux, dit M. Grosman. La solution la plus efficace est d'éliminer toutes les mares salines, sans créer de mares compensatoires, à moins de 500 m de la route. Pour trouver le sel, l'orignal va plutôt retourner vers un lac.»

1000 collisions par année

Le ministère des Transports du Québec (MTQ) estime que les orignaux sont la cause d'environ 1000 accidents de la route chaque année.

Un orignal mâle adulte peut peser plus de 700 kg. Comme il est très haut sur pattes, en cas de collision avec une automobile, l'animal s'écrase généralement dans le pare-brise et peut même enfoncer une partie du toit, causant de sérieuses blessures aux passagers.

En 2008 et 2009, le MTQ a dénombré cinq accidents mortels impliquant un animal. Dans au moins un cas, la victime avait heurté un orignal.

La recherche de Paul Grosman s'inscrit dans la foulée des travaux menés par Christian Dussault, du ministère des Ressources naturelles et de la Faune, et de Jean-Pierre Ouellet, de l'Université du Québec à Rimouski, qui signent l'étude publiée dans la revue Ecological Modeling. Deux professeurs du département de géographie, d'urbanisme et d'environnement de l'Université Concordia, Jochen A.G. Jaeger et Pascale Biron, ont aussi participé à cette recherche.

Leurs travaux seront d'ailleurs présentés à un colloque scientifique qui a lieu la semaine prochaine à Québec sur le thème Routes et faune terrestre: de la science aux solutions.

Pendant trois ans, à l'aide d'appareils GPS, les chercheurs ont collecté une grande quantité de données précises sur les habitudes et les déplacements de 47 orignaux dans la réserve faunique des Laurentides, que traverse la route 175, entre Québec et Chicoutimi.

M. Grosman, qui est informaticien de métier, a ainsi eu accès à une banque de 200 000 données de positionnement des orignaux dans leur territoire respectif. Il s'en est servi pour modéliser les déplacements et les comportements de 40 orignaux virtuels dans une vingtaine de situations: abondance ou non de mares salines en bordure de la route, présence ou non de mares créées exprès pour eux à bonne distance des voies routières, etc.

Cet exercice, évidemment, vise à essayer de prédire comment de vrais orignaux réagissent aux différentes mesures mises en place par le MTQ pour les tenir le plus loin possible des routes.

Agir sur l'animal

Depuis une dizaine d'années, explique M. Grosman, le MTQ a réalisé une série de recherches et d'expériences en bordure de la route 175, dans la réserve faunique des Laurentides. Cette route fait actuellement l'objet d'importants travaux qui la feront passer de deux à quatre voies d'ici à 2013. On en a profité pour installer des infrastructures de drainage plus performantes afin de récupérer les eaux salines.

Les chercheurs ont ensuite créé des mares salines de compensation plus loin en forêt, pour permettre aux orignaux de combler leurs besoins en sel sans s'approcher de l'emprise routière.

De plus, dit M. Grosman, on a installé sur presque 140 km une clôture haute de 2,4 m pour empêcher les bêtes d'accéder à la route, et on a aménagé six passages souterrains afin qu'elles puissent tout de même la traverser sans danger.

En 2009, 193 orignaux avaient utilisé ces passages. L'an dernier, on en a compté 280, 45% de plus. Les animaux semblent s'adapter.

«Il faut agir sur le comportement des animaux parce que c'est plus difficile de modifier les comportements des humains, dit M. Grosman en riant. Malgré la signalisation routière qui les avertit du danger, beaucoup de gens roulent encore beaucoup trop vite sur nos routes, la nuit.»