Avant de se volatiliser au Japon, l'ex-conjointe de Christian Larochelle avait déjà l'habitude de disparaître sans crier gare et de ne pas répondre à ses appels, même si elle a finalement déclaré à la cour qu'il était un bon père. Après leur rupture, elle a aussi caché des revenus et falsifié des papiers.

«Mais le juge n'en a pas tenu compte, s'indigne Christian Larochelle. C'était moi, l'écoeurant, parce que je l'avais dénoncée. Mais que devais-je faire? Accepter qu'elle vole mon identité? Continuer à payer une pension excessive?»

«Combien de fois entend-on dire que les pères doivent prendre plus de place dans la vie de leur enfant? , demande sa nouvelle conjointe, tout aussi révoltée. Ils vivent ensuite de la discrimination et tout le monde semble trouver cela acceptable. Des hommes tout a fait équilibrés vivent des drames et se débattent seuls parce que la société les oublie.»

«Parfois, je lis un jugement et j'ai l'impression que, si on inversait les sexes, la décision ne serait pas la même, mais ce n'est pas généralisé, car la loi est d'une neutralité totale», nuance le professeur de droit Alain Roy.

Si les femmes obtiennent plus souvent la garde exclusive des enfants, c'est que, dans les faits, elles demeurent souvent le parent de référence pour les tout-petits. Par ailleurs, quand une séparation tourne mal et que les accusations se mettent à fuser de part et d'autre, il n'est pas toujours facile de départager le vrai du faux. Ou alors on n'en a tout simplement pas le temps: d'après Eric Kalmus, de The Japan Children's Rights Network, les mères qui veulent retourner au Japon commencent parfois par se plaindre de violence à la police et quittent le pays pendant que leur conjoint est détenu.

Chose certaine, rendre une ordonnance de garde lorsqu'un parent déménage constitue «le pire dilemme du droit de la famille», affirme M. Roy, puisqu'un parent sera forcément sacrifié. «Le juge n'est pas là pour punir celui qui part, explique le professeur. Seul l'intérêt de l'enfant compte. On cherche à lui éviter ce qui sera le plus nocif: parfois, c'est de le déraciner; parfois, c'est de changer de gardien.»

Dans ce cas-ci, la mère de Sophie était sa principale figure d'attachement. Le Canada risquait de l'expulser. «Le juge a quand même pris un énorme risque, lance M. Larochelle. Comment a-t-il pu penser qu'envoyer Sophie dans un pays totalement différent, où l'on parle une autre langue, serait moins traumatisant que de la laisser à Montréal avec son père et son demi-frère, qu'elle voyait trois fins de semaine sur quatre?»

«Si le juge avait eu la conviction que la mère bloquerait complètement le père, sa décision aurait sans doute été différente, espère M. Roy. Est-ce dans l'intérêt de l'enfant de le confier à une mère qui va le priver de son père? Les études montrent qu'il a plutôt intérêt à avoir des contacts avec ses deux parents. Si les contacts ne peuvent être étroits, ils doivent au moins exister.»

Christian Larochelle, lui, n'a plus guère espoir de retrouver sa fille avant qu'elle atteigne l'âge adulte. Et encore, à condition que sa mère ne lui ait pas raconté les pires horreurs à son sujet... «Un jour, dit-il, ma fille lira au moins ceci et saura que je me suis battu pour elle.»