Les prisonniers s'automutilent de plus en plus dans les établissements fédéraux et le gouvernement ne sait pas pourquoi.

C'est l'une des conclusions d'une étude interne menée pendant deux ans et demi qui doit être rendue publique au printemps.

Le nombre de ces incidents aurait explosé depuis cinq ans, selon d'autres documents remis récemment au Parlement en réponse à des questions posées par une députée néo-démocrate.

À l'échelle canadienne, les incidents d'automutilation sont passés de 45 en 2005-2006 à 277 en 2009-2010. Le problème est particulièrement aigu chez les femmes de la région des Prairies: en 2009-2010, Service correctionnel Canada (SCC) a recensé 125 cas. Le Québec n'est pas en reste: des 671 cas recensés en tout au pays depuis 5 ans, 162 incidents ont eu lieu dans la province. En 2008-2009, il y avait 315 femmes et 4596 hommes détenus dans les établissements fédéraux.

«Je ne suis pas étonnée de voir que les chiffres augmentent, mais je suis étonnée de voir qu'ils augmentent autant», a dit Kim Pate, directrice générale de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth-Fry, qui défend les droits des prisonnières.

La criminologue Jennifer Kilty lance toutefois une mise en garde contre une interprétation trop hâtive de ces données, dont la fiabilité n'est pas prouvée, dit-elle.

Surtout les femmes

À Ottawa, SCC a jugé le problème suffisamment sérieux pour envoyer une longue note d'information au ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, il y a moins d'un an.

Les femmes sont beaucoup plus à risque que les hommes et le nombre d'incidents est «disproportionnellement élevé chez les délinquants autochtones», indique cette note obtenue par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Des détenus se coupent, se cognent la tête sur les murs, se brûlent, s'insèrent des objets ou absorbent des produits chimiques, dit le document. «La littérature actuelle suggère que l'automutilation est souvent le résultat d'individus qui tentent d'équilibrer leurs émotions pour éviter le suicide», peut-on lire.

Problèmes de santé mentale

Ce constat survient au moment où de plus en plus de prisonniers - particulièrement des femmes - souffrent de problèmes de santé mentale. Or, en septembre, l'enquêteur correctionnel du Canada a dit craindre que le nombre croissant de prisonniers envoyés dans les établissements fédéraux en raison du durcissement de la justice criminelle par le gouvernement Harper mine la capacité des gardiens de gérer ces cas complexes.

Devant l'ampleur du problème, le gouvernement en est déjà à réviser sa «stratégie nationale pour répondre aux besoins des détenus qui s'automutilent», pourtant mise sur pied il y a à peine deux ans. Cette stratégie prévoit des interventions mieux ciblées et de la recherche. On tente notamment de savoir si le phénomène est «contagieux», dit la note au ministre.

Des projets pilotes ont aussi été lancés, et un conseil consultatif mixte tente de trouver des solutions.

En isolement

La criminologue Jennifer Kilty espère que ces efforts déboucheront sur une approche plus centrée sur les besoins des détenues.

Elle souhaite aussi que SCC cesse de mettre en isolement préventif les détenus qui s'automutilent, une méthode employée pour des raisons de surveillance et de sécurité, affirme le Service.

«Que ce soit disciplinaire ou administratif, dit la professeure, les détenus sont quand même isolés du reste de la population. Ils ne vont pas à leurs programmes. Ils sont quand même mis à nu et en cellule 23 heures par jour.» Cela équivaut à une punition, conclut-elle.

- Avec William Leclerc