Les autorités tunisiennes tardent à soumettre au gouvernement canadien les renseignements pertinents qui lui permettraient de saisir, comme elles le réclament, les biens que détiendraient au Canada l'ancien président Zine el-Abidine Ben Ali, sa famille et ses associés.

Le ministère canadien de la Justice a envoyé le 3 février une lettre au doyen des juges d'instruction de la Tunisie, Igrahim Eloueslati, pour lui demander de fournir les renseignements dont Ottawa a besoin pour donner suite à la requête de saisie tout en respectant le droit canadien.

Les autorités tunisiennes n'ont toujours pas répondu, a appris La Presse hier.

«En droit canadien, l'aide sollicitée par la Tunisie peut être accordée sous réserve de respect de certaines exigences juridiques. Malheureusement, les demandes, telles qu'elles ont été présentées, ne fournissent pas au Canada suffisamment de renseignements pour lui permettre d'y acquiescer», écrit le ministère de la Justice dans sa lettre, que La Presse a obtenue.

Trois notes diplomatiques

Essentiellement, la demande d'assistance formulée par les autorités tunisiennes se résume à trois notes diplomatiques dans lesquelles on dit vouloir obtenir des dossiers bancaires et des renseignements sur des actions ainsi que la saisie des biens de la famille Ben Ali.

«L'Autorité centrale canadienne s'efforcera de travailler avec les autorités tunisiennes afin de leur expliquer quelles sont les lacunes que comporte leur demande et de leur décrire les renseignements additionnels qu'elles doivent fournir pour réussir à obtenir l'aide demandée du Canada», ajoute-t-on dans la lettre.

À l'heure actuelle, il n'existe pas de traité d'entraide juridique entre le Canada et la Tunisie. Il faut donc que les autorités tunisiennes précisent au Canada l'entente internationale sur laquelle elles fondent leur demande, soit la Convention des Nations unies contre la corruption ou encore la Convention des Nations unies sur la criminalité transnationale organisée. Les deux pays sont signataires de ces deux traités.

Dans sa lettre, le ministère de la Justice demande aussi aux autorités tunisiennes de préciser les allégations qui pèsent sur la famille Ben Ali et ses associés et de présenter un sommaire des éléments de preuve à l'appui de l'enquête. «Il ne suffit pas de simplement indiquer dans votre demande qu'il y a une enquête en cours et que divers types de preuve/d'aide permettront de faire avancer l'enquête», dit la lettre, signée par Janet Henchey, avocate principale et directrice générale du service d'entraide internationale.

Numéros de comptes

En ce qui a trait aux dossiers bancaires, les autorités canadiennes demandent que l'on précise les numéros des comptes visés par la demande de saisie ainsi que le nom et l'emplacement de l'institution financière canadienne où les dossiers devraient se trouver. «Il n'est pas suffisant de demander les dossiers concernant «tout» compte bancaire détenu par les suspects. Le Canada ne possède pas de base centrale de données sur tous les comptes bancaires détenus par des individus au Canada.»

Le Canada demande aussi à la Tunisie de lui fournir une ordonnance de saisie ou de blocage de biens rendue par une cour criminelle tunisienne. «La personne dont les biens seraient bloqués ou saisis doit faire l'objet d'une accusation dans votre pays», écrit-on.

La valeur totale des avoirs de la famille Ben Ali au Canada est inconnue, mais on sait que la famille possède une maison évaluée à plus de 2 millions de dollars à Westmount.

Depuis quelques jours, le Bloc québécois talonne le gouvernement Harper pour qu'il gèle, même provisoirement, les avoirs de la famille de Ben Ali au Canada. Le Bloc soutient que d'autres pays ont agi rapidement et juge inacceptable la lenteur du gouvernement canadien.

L'ambassadeur de la Tunisie en poste à Ottawa, Mouldi Sakri, a aussi montré des signes d'impatience cette semaine. Il a affirmé que le gouvernement Harper met en jeu l'image du Canada à l'étranger en traînant les pieds dans ce dossier.

Le ministère des Affaires étrangères a convoqué l'ambassadeur jeudi pour lui faire expliquer les étapes juridiques qui doivent être respectées pour qu'Ottawa donne suite à la requête, selon nos sources.