Les citoyens interrogés, fouillés ou arrêtés l'été dernier au sommet du G20 de Toronto ont été victimes de véritables «mesures de guerre» sans doute illégalement appliquées. Un millier de Canadiens - parmi lesquels des centaines de Québécois - «se sont injustement retrouvés pris au piège par l'expansion secrète des pouvoirs policiers».



C'est par ces mots très durs que l'ombudsman de l'Ontario, André Marin, a blâmé mardi son gouvernement ainsi que le Service de police de Toronto.

D'après son rapport de 125 pages, ceux-ci ont commis une «violation massive» (et record) des droits de l'homme grâce à un nouveau règlement «opportuniste», qui accordait aux policiers des «pouvoirs extravagants» et «inouïs» dans une société démocratique. D'après lui, ces pouvoirs «s'avéreraient presque certainement illégaux et inconstitutionnels en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés», qui protège la liberté d'expression.

Durant tout le sommet, la police a «pratiquement imposé la loi martiale dans les rues de la ville», sans que cela ne réponde «à aucun objectif valable de sécurité», dénonce-t-il.

Pire encore, ni le public, ni les médias, ni même les dirigeants de la Ville de Toronto ne savaient qu'un nouveau règlement avait été adopté. Un courriel gouvernemental recommandait carrément de «camoufler» son existence. C'est ainsi que même la direction du Groupe intégré de la sécurité du sommet s'est dite «abasourdie» d'apprendre son existence.

Résultat: les citoyens qui avaient pris la peine de s'informer de leurs droits avant le sommet ont été pris dans «une embuscade», «un traquenard». Ils ont été stupéfaits de découvrir que la police pouvait soudain interpeller et fouiller des gens qui ne cherchaient même pas à franchir la clôture de sécurité, ou qui étaient prêts à rebrousser tranquillement chemin.

Adopté par le cabinet le 2 juin, sans le moindre débat, le règlement est forcément passé inaperçu. Il faisait du périmètre de sécurité du G20 un «ouvrage public». Or, la Loi sur la protection des ouvrages publics, vieille de 71 ans et unique en son genre, confère à la police de vastes pouvoirs dans de telles zones.

D'après l'ombudsman, le ministère ontarien de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels est responsable «du chaos et de la confusion». Il savait que «des gens qui ne soupçonnaient rien du danger» risquaient de se retrouver en prison, mais il n'a pas bien encadré la police. Celle-ci a donc interprété le règlement de façon très large et a même erronément laissé croire au public qu'il était interdit d'approcher à moins de cinq mètres du périmètre de sécurité. Les agents sont allés jusqu'à arrêter sans mandat près de 100 Québécois qui dormaient dans un gymnase de l'Université de Toronto, à des kilomètres de là.

Le Service de police a refusé de parler aux enquêteurs de l'ombudsman et a toujours refusé de présenter des excuses aux manifestants.

Au lendemain du sommet, face au tollé général, le premier ministre de la province, Dalton McGuinty, avait pour sa part admis qu'il aurait fallu informer plus clairement le public. Son ministre de la Sécurité communautaire a abondé dans son sens mardi.

L'ombudsman ontarien recommande justement de faire des campagnes d'informations publiques chaque fois que des pouvoirs policiers sont modifiés. Il recommande aussi de réviser, d'ici six mois, la Loi sur la protection des ouvrages publics. Déjà à l'oeuvre depuis septembre, à la demande du premier ministre, le juge en chef de l'Ontario doit se prononcer sur cette loi l'an prochain.

En attendant, les répercussions du sommet se font encore sentir, se désole M. Marin. «Alors que l'objectif en accueillant le G20 était de mettre en valeur le Canada aux yeux du monde, écrit-il, (on) a laissé en mémoire de tristes images et un legs regrettable, que nous essayons de rectifier encore actuellement.»

* * *

Une grande première

Plusieurs ont beau douter de leur fiabilité, les médias sociaux ont grandement alimenté l'enquête de l'ombudsman de l'Ontario. Une première, croit-il. «Les gens nous ont massivement répondu et nous ont envoyé des récits, des photos et des vidéos, dont certains n'ont jamais été rendus publics jusqu'à présent, a-t-il déclaré en conférence de presse. À ma connaissance, c'est la première fois qu'une enquête d'un ombudsman utilise les médias sociaux et je peux vous assurer que c'est un outil très utile.» «Notre rapport fourmille d'histoires de personnes qui ont subi de tels traitements et comprend des photos qui captent les scènes inoubliables de ces deux jours», a-t-il ajouté.