Il existe au pays 85 378 organismes de charité, dont 16 328 au Québec, selon l'Agence du revenu du Canada. Il n'est pas étonnant qu'à cette période de l'année, nos boîtes à lettres soient inondées de sollicitations de toutes sortes, sans compter tous ces proches qui nous vendent des billets de tirage par-ci, des tablettes de chocolat par-là. Les besoins sont immenses, partout. Comment choisir?

Pour récolter 5,3 millions en dons, la division québécoise de la Société canadienne de la sclérose en plaques a dépensé 2,5 millions pour faire ses collectes de fonds. La Société Alzheimer du Canada, 3,6 millions pour obtenir 9 millions. La division québécoise de la Société canadienne du cancer, 8,7 millions pour récolter 25,3 millions. Au total, les différentes collectes de fonds de la Fondation des maladies du coeur coûtent 80 millions et récoltent 155 millions(1).

«Oui, c'est élevé, convient Jean-Pierre Laurin, directeur adjoint de la Société canadienne du cancer pour le Québec. On aimerait que ce soit zéro, mais ça coûte de l'argent, aller chercher de l'argent.»

La Société Alzheimer du Canada le sait mieux que quiconque. En 2008, sa division de la Saskatchewan a récolté 95 812$ au cours d'une collecte de fonds qui lui avait coûté 96 849$. «Cela nous a amenés à regarder de très près ce que nous rapporte chaque dollar investi, dit en entrevue Richard Nakoneczny, président du conseil d'administration. Ça nous a fait comprendre que ce qui semble une bonne idée sur papier ne l'est peut-être pas dans la réalité. Ça nous a servi de leçon.»

L'Agence du revenu du Canada met un feu jaune quand le rapport entre les revenus et les dépenses liées aux activités de financement dépasse les 35%. À la Fondation des maladies du coeur, où le rapport est de 52%, Ronald Martineau, qui siège à la fois au conseil d'administration de la division québécoise et de l'organisme national, dit qu'«il faut aller au-delà des chiffres». «Ça peut paraître élevé, dit-il, mais il faut voir ce que ça génère.»

«Quand les gens vont chez vous, ils collectent peut-être 5$, mais ils peuvent peut-être vous donner de l'information qui a coûté 3,50$ en imprimé, en programme de formation, en programme d'information.»

De son côté, Jeunesse au Soleil croit désormais davantage dans les vertus de la sollicitation ciblée. «Acheter des listes et tout ça, on l'a fait il y a plusieurs années, et on a vu que ça ne nous avait pas donné de résultats à tout casser. On n'a plus envie de dépenser des millions pour récolter des millions», dit pour sa part Nicolas Carpentier, coordonnateur du marketing.

Les envois postaux tous azimuts, croit-il, «c'est cher, impersonnel et ça a tôt fait de finir à la poubelle».

La façon de donner a beaucoup changé, note André Beaulieu, responsable des communications de la Société canadienne du cancer au Québec. Il y a 25 ans, dit-il, les gens choisissaient leur cause et ils envoyaient un chèque. Aujourd'hui, ils demandent des activités rassembleuses, des courses de type Relais pour la vie. Ces courses entraînent cependant des coûts, ne serait-ce qu'en sécurité, souligne-t-il. N'empêche, ces collectes rapportent gros (13 millions par année) notamment grâce à l'engagement de personnes qui ont survécu au cancer et qui s'engagent à fond. «Quand on est sollicité par quelqu'un qui a eu le cancer, on se sent interpellé», dit-il.

Dans ce même filon participatif, la Old Brewery Mission connaît un bon succès en faisant commanditer des soupers par des groupes et en leur offrant la possibilité aux personnes de venir servir elles-mêmes le souper aux sans-abri. «Cette année, environ la moitié de nos soupers sont commandités», dit Matthew Pearce, directeur général de l'organisme.

Chercher le riche

Associé chez Bolduc Nolet Primeau, entreprise qui aide des organismes de charité à amasser des fonds, Jacques Primeau croit pour sa part que l'avenir des organismes de charité tient en bonne partie dans une recette toute simple: partir à la recherche du riche qui ne demande pas mieux que de donner.

Comme Céline Dion et l'hôpital Sainte-Justine? Oui, mais pas besoin de viser nécesairement une grande vedette, souligne M. Primeau. Il suffit, même à l'échelle d'un village, de cibler une personne riche discrète qui souhaite s'associer à une cause qu'elle finirait par prendre à coeur.

Et ces gens-là, note M. Primeau, «il faut aller les rencontrer en personne».

Pour le Centre d'étude et de coopération internationale (CECI) - qui a notamment récolté des dons pour Haïti, puis, plus difficilement ensuite, pour le Pakistan -, le défi consiste à éviter un essouflement dans le don et «à maintenir un certain niveau de compassion», dit sa directrice générale adjointe, Chantal-Sylvie Imbeault.

À l'heure où les nouvelles abondent sur le fait qu'Haïti se reconstruit à pas de tortue et que les ONG sont loin d'être toutes très efficaces, le CECI s'assure d'informer régulièrement ses donateurs des progrès concrets sur le terrain.

À qui donner?

Avant de faire un don, dressez d'abord la liste de tous les organismes à qui vous donnez déjà, suggère Kate Bahen, directrice générale de Charity Intelligence Canada (lui-même un organisme de charité qui sert de chien de garde à ses semblables). «Il y a beaucoup de pression à donner, et vous serez étonné de constater à quel point vos dons à droite et à gauche ne réflètent pas nécessairement vos grandes priorités.»

Bill Bradely, dans un article sur le don publié dans le Harvard Business Review, suggère aussi de vérifier d'abord l'encaisse des organismes. «Certains organismes de charité sollicitent des fonds non pas parce qu'ils ont besoin d'argent, mais parce qu'ils en ont la capacité.»

Kate Bahen abonde dans le même sens. «Combien d'argent l'organisme a-t-il à la banque et en placements? Combien redonne-t-il à ses bénéficiaires? Tout organisme a besoin d'un certain coussin, mais certains donateurs peuvent préférer que leur argent serve immédiatement plutôt que de dormir à la banque.»

En même temps, plus le coussin est important, plus grands seront les intérêts, non? «Pas nécessairement, fait observer Mme Bahen. Quand on regarde de près les chiffres des organismes, on remarque que certains ont connu de sérieux déboires à la Bourse. Comme quoi tous n'avaient pas investi leurs fonds dans des placements très sûrs.»

Mme Bahen suggère aussi de bien s'assurer de transmettre le don à l'organisme auquel on pense le diriger. Ainsi, si on veut faire un don pour le cancer, il y a l'organisme national, l'organisme provincial qui lui est associé, puis des organismes complètement différents, avec des états financiers propres, qui récoltent des fonds pour le cancer du sein, de la prostate, etc.

À la Société Alzheimer du Canada, division Québec, Jocelyne Evraire, directrice du développement financier, reconnaît que la difficulté pour le donateur de distinguer si la sollicitation de dons lui vient de l'organisme national ou de celui du Québec «est un problème».

Elle dit avoir à revenir à la charge pour que l'organisme national s'identifie comme tel. Longtemps, dit-elle, il n'a fait qu'indiquer sur les enveloppes «Société Alzheimer tout court», dit-elle.

Enfin, quand il s'agit de s'assurer de diriger son don là où on le veut vraiment, il importe aussi de savoir, si on veut donner aux sans-abri, qu'il faut aider directement les refuges. Centraide, dont la mission est notamment d'aider les démunis, n'aide aucun de ces refuges.

(1). Données 2010 de l'Agence du revenu du Canada (sauf pour la Société canadienne de la sclérose en plaques, dont les dernières données disponibles sont de 2009)