Le suspense flottait dans l'air frais du matin, hier, lorsque le petit cargo rouge et bleu a accosté au port d'Esquimalt, tout près de Victoria.

Surveillé depuis des mois, le MV Sun Sea allait enfin pouvoir révéler son secret: l'identité de ses centaines de passagers.

Mais la levée du voile n'a pas eu lieu. Le gouvernement canadien, qui affirme que des «terroristes et des trafiquants» se trouvent à bord, a tout mis en oeuvre pour conserver le secret le plus complet.

De longues toiles bleues cachaient à la vue le lieu de débarquement des quelque 490 passagers, qui, la veille, avaient demandé l'asile aux autorités canadiennes par communication radio.

L'endroit choisi pour l'accostage, à proximité d'une base militaire, était strictement gardé. Le MV Sun Sea y est arrivé escorté de deux frégates et de bateaux de la Gendarmerie royale. Dans le ciel, deux hélicoptères patrouillaient.

Nombreux, les journalistes et les curieux ont dû se contenter de regarder la scène depuis la réserve autochtone des Songhees, de l'autre côté de la baie, à plus de 1 km du lieu où le navire a été immobilisé.

Les lunettes d'approche et les puissants téléobjectifs des appareils photo ont à peine permis de voir une poignée de femmes en sari, souriantes, entassées sur le pont du MV Sun Sea.

Leur présence a toutefois confirmé que, contrairement au dernier bateau que Victoria a accueilli en octobre dernier, qui transportait 76 hommes, le MV Sun Sea transporte aussi des femmes et des enfants.

Peu de réponses

Mais là s'arrêtent les certitudes. Combien de personnes sont à bord exactement? Appartiennent-elles toutes ou en grande partie à la minorité tamoule du Sri Lanka? Quel est leur état de santé? Dans quelles conditions ont-elles fait le voyage? Ces questions et bien d'autres n'ont pas reçu de réponse hier.

Les représentants de la Gendarmerie royale du Canada, de l'Agence des services frontaliers, de la Défense nationale et du ministère des Affaires étrangères, qui ont tenu un point de presse quelque 18 heures après l'arrivée du MV Sun Sea, ont expliqué que l'enquête commence à peine. «Notre priorité est de nous occuper des passagers, en ce moment», a dit une des porte-parole de la Gendarmerie royale du Canada, Annie Linteau.

Arraisonnement dans l'ordre

Les quatre organismes ont cependant donné quelques détails sur l'opération qu'ils ont menée ensemble pour arraisonner le cargo, qui bat pavillon thaïlandais, après son entrée dans les eaux territoriales canadiennes, jeudi en fin d'après-midi. «La scène s'est déroulée dans le calme. Les responsables se sont pliés à nos demandes. Ils ont compris nos ordres et les ont suivis», a expliqué le capitaine Dermot Muholland de la Défense nationale.

Pour le moment hébergés dans de grandes tentes blanches installées sur le quai d'Esquimalt, les demandeurs d'asile feront l'objet d'un examen au cours des prochains jours. Leur identité et leurs antécédents criminels, tout autant que leur état de santé, seront passés au peigne fin. Ceux qui satisfont aux critères du Canada seront ensuite envoyés vers un autre lieu d'hébergement ou dans un centre de détention le temps que soit étudiée leur demande d'asile.

Poursuites en vue

Mais tous ne connaîtront pas ce sort. La Gendarmerie royale a cependant confirmé hier qu'elle travaille à établir qui, des passagers, a participé au trafic des personnes et qui a des liens avec les Tigres tamouls, une organisation séparatiste armée qui est sur la liste des organisations terroristes du Canada depuis 2006. Arrêtés en territoire canadien, ces derniers pourraient être poursuivis devant les tribunaux du pays.

Sécurité et secret exagérée?

Malgré la présence potentielle de criminels à bord du MV Sun Sea, certains trouvent exagérées les mesures de sécurité qu'a déployées le gouvernement canadien. «On s'y attendait, avec tout le battage médiatique qui a eu lieu autour de l'arrivée du navire, mais ce n'est quand même pas normal, de telles règles de sécurité. D'autant plus qu'il y a des enfants à bord», a dit hier un des porte-parole du Congrès tamoul canadien, Gary Anandasangaree.

Avocate torontoise spécialisée en immigration, Barbara Jackman voit dans le filtrage de l'information une tentative de cacher le drame humain que vivent ces migrants. «Les autorités exagèrent les moyens de sécurité pour créer l'impression qu'il y a là une vraie menace. Aussi, en ne montrant pas le visage des gens, on les déshumanise. C'est ainsi qu'on entretient la peur.»

De son côté, le gouvernement canadien explique qu'il a l'obligation légale de protéger l'identité des demandeurs d'asile, qu'ils arrivent par avion, par la terre ou par bateau.

Le gouvernement affirmait hier avoir tout mis en place pour veiller à la santé et à la sécurité des passagers du MV Sun Sea, qui ont subi un long et dur voyage en mer. Selon plusieurs rapports, le cargo aurait quitté l'Asie au printemps. Après s'être d'abord dirigé vers l'Australie, le navire a mis le cap vers le Canada il y a plus de trois mois.