Le monastère Vierge Marie la Consolatrice est situé dans les bois des Laurentides. Le chemin de terre qui y mène laisse croire que c'est plutôt un camp de pêche qui se trouve au bout de la route. Jusqu'à ce qu'un drapeau de la Grèce le confirme: c'est bel et bien ici que vivent ces soeurs orthodoxes végétariennes qui font pousser des légumes biologiques et préparent des baklavas avec le miel de leurs ruches. À l'abri de tous les regards sauf ceux de leurs chiens, tous obèses.

«Le vétérinaire nous a averties», s'excuse soeur Makrina. Son sourire est toutefois sans équivoque: les chiens du monastère ne seront jamais au régime.

L'endroit est unique: modeste, moderne et bruyant, contrairement aux autres monastères, où le silence règne. C'est que les soeurs rénovent. Alors que la population des communautés religieuses vieillit à un rythme effarant, à Brownsburg-Chatam, il y a de la relève. La moyenne d'âge des 22 soeurs du monastère se situe dans la trentaine. La communauté grandit et on doit loger les novices.

Les religieuses sont de diverses origines, mais le grec est la langue commune. Le monastère est d'ailleurs né à la demande de la communauté grecque de Montréal, qui souhaitait un lieu de recueillement.

Comment des nonnes urbaines ont-elles pu se retrouver isolées dans le bois, si loin de la ville?

«C'est Dieu qui nous a guidées», explique soeur Makrina.

Évidemment.

Ce qui est maintenant le monastère était au départ une ferme abandonnée. La communauté a acquis la propriété au milieu des années 90. Pour des raisons de zonage, les soeurs devaient pratiquer une activité agricole.

La jeune mère supérieure, dépêchée de Grèce pour la création du monastère, connaissait bien la vie à la ferme; les cinq soeurs qui formaient alors la congrégation, pas du tout.

Cela ne les a pas empêchées de se doter d'un petit troupeau de chèvres. Elles l'ont nommé «le troupeau bénit». C'est toujours le nom des produits alimentaires de la congrégation. L'idée de départ était d'utiliser le lait pour leur consommation personnelle. Les chèvres étant généreuses, les soeurs se sont mises à fabriquer du fromage. De la feta, naturellement. Mais cette fois, Dieu ne leur a pas donné la recette si facilement. Une impressionnante quantité de fromage s'est retrouvée dans le compost avant que la feta du Troupeau bénit ne soit mangeable.

«On pouvait juger de la qualité de notre fromage à voir les visages de nos invités quand on le mettait sur la table», raconte soeur Makrina. Apparemment, il y avait au départ plus de grimaces que de sourires. Mais les soeurs ont persévéré jusqu'à ce qu'il soit si bon qu'on leur suggère de le commercialiser.

Afin de se doter d'un permis commercial, soeur Makrina et la mère supérieure se sont inscrites au cours de production fromagère de l'Institut de technique agroalimentaire de Saint-Hyacinthe. La mère supérieure ne parlant pas un mot de français, sa collègue traduisait à mesure les instructions des professeurs.

Elles ont terminé toutes deux premières de classe, avec des moyennes au-delà de 90%.

Yannick Achym, propriétaire de trois fromageries au Québec, a le premier commercialisé la fameuse feta des soeurs. Un excellent produit, bien équilibré, dit-il, avec une pointe de sel et un côté lactique très présent.

Il y a quelques années, la congrégation a vendu son troupeau pour se consacrer à la transformation alimentaire. Les religieuses font toujours du fromage, mais elles achètent le lait de producteurs de la région. Par contre, elles s'occupent d'une centaine de poules. Les oeufs sont utilisés pour la moussaka. Elles font des biscuits traditionnels, du chocolat et des baklavas. Le miel vient des abeilles du monastère, car les soeurs sont aussi apicultrices.

L'été, elles travaillent très fort dans le potager, où elles cultivent, selon les principes de l'agriculture biologique, des tomates, des concombres, des haricots, des fines herbes, des oignons verts, des poireaux.

Les pesticides et engrais chimiques sont aussi bannis du petit vignoble dont le raisin sert à fabriquer le vin de messe. Les soeurs entendent commercialiser leur vin pour les communautés religieuses de Montréal, qui doivent l'importer d'Europe. Le principe de l'alimentation locale tient aussi pour la messe, explique soeur Makrina en parcourant les terres de la communauté.

Au monastère, l'été amène une activité supplémentaire: les marchés publics. Les week-ends, les soeurs chargent les camions et vont vendre leurs produits. Elles sont facilement reconnaissables, tout de noir vêtues. Elles y tirent un important revenu pour la congrégation, si bien que les soeurs sont à la recherche d'un distributeur pour que leurs produits se retrouvent dans les épiceries spécialisées. En attendant, elles accueillent volontiers quiconque fait le voyage jusqu'à la moussaka du Troupeau bénit. Les visiteurs peuvent faire le tour du jardin et se recueillir dans cette belle campagne.

Prière de ne pas nourrir les chiens...