Le gouvernement du Québec a mis en place ce printemps, au coût de 1,2 million, une campagne publicitaire incitant les femmes à dénoncer leurs agresseurs sexuels. Le problème, c'est que, sur le terrain, les policiers ne fournissent pas à la tâche.

Caroline (prénom fictif) dit qu'elle ne demanderait pas mieux que d'être comme la femme de la pub à la télévision. Elle ne demanderait pas mieux que de raconter son histoire à visage découvert. Comme dans la pub, elle aimerait pouvoir dire: «Voici, c'est moi, te souviens-tu de moi?» C'est cependant encore trop tôt, légalement, d'autant plus que Caroline a dû se battre pour pouvoir faire sa déposition. Les policiers ont accueilli sa plainte, mais, pour la suite des choses, ça a été compliqué. Les policiers sont débordés, lui a-t-on dit. Absolument débordés.

 

Le 8 mars, Caroline s'est présentée au poste de police. Elle a porté plainte. Les policiers lui ont dit qu'ils l'appelleraient sous peu pour prendre sa déposition. Elle a attendu. Elle a redonné deux coups de fil. Pas de nouvelles. Finalement, un policier lui a expliqué que l'escouade des crimes sexuels croulait sous la tâche. Son dossier avait donc été transmis aux enquêteurs des crimes majeurs, qui sont eux aussi débordés. Quand l'appellerait-on de nouveau? Impossible à dire.

Agressée à 12 ans

La plainte de Caroline, aujourd'hui dans la quarantaine, porte sur une histoire qui remonte à son adolescence. À la maison, ça n'allait pas. Il y avait des disputes, des cris, et Caroline s'est mise à aller changer d'air dans la famille dont elle gardait les enfants. La femme a fini par la considérer comme sa propre fille. Avec le mari, c'était autre chose: les attouchements à 12 ans et la relation sexuelle complète à 14 ans, dit Caroline. La femme a fini par apprendre la vérité. Elle avait de jeunes enfants. Elle a pris les moyens pour que tout cela cesse et pour que l'histoire ne se sache pas.

Pendant longtemps, «j'ai pensé que j'étais une sale garce, dit Caroline. C'est d'ailleurs comme ça que certains me voient encore. Je n'avais pourtant que 12 ans quand ça a commencé! Ce qui est dramatique, c'est que, à cet âge-là, on aime à l'infini, sans limites et sans mesure. Que cet amour soit interdit ne fait qu'alimenter le côté unique de la chose, et si l'agresseur est malin - et ils le sont! - il joue à fond cette carte. Ensuite, comme nous avons aimé, nous sommes forcément coupables.»

C'est tout cela qu'elle voulait dire dans sa déposition, pour laquelle aucune date n'était encore fixée. Autour d'elle, des proches se sont activés. Ils ont envoyé des courriels aux officiers supérieurs de la police et à des politiciens. Le lendemain, Caroline a reçu une convocation pour faire sa déposition. Voilà qui est bien pour elle, mais qu'en est-il de toutes les autres? demande-t-elle.

«J'avais entrepris le processus avant la campagne à la télévision et ma décision n'a rien eu à voir avec cette campagne, mais, chaque fois que je voyais les pubs, je bouillais pour toutes celles qui seraient ainsi incitées à porter plainte et qu'on laisserait en plan, faute de ressources. C'est vraiment difficile de trouver le courage de porter plainte, et ce l'est encore plus quand les délais se prolongent. En tout cas, moi, j'ai trouvé ça dur. J'avais l'impression d'être emmurée dans mon silence.»

Son histoire n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Il y a quelques semaines, en commission parlementaire, la députée du Parti québécois Véronique Hivon, qui avait aussi reçu son courriel, a soulevé ce cas et demandé à la ministre de la Justice, Kathleen Weil, ce qu'elle en pensait.

Jointe par La Presse, Sarah Pilote Henry, attachée de presse de la ministre, répète ce que sa patronne a dit en commission parlementaire: «La ministre est préoccupée par une telle situation. Elle va en discuter avec le ministre de la Sécurité publique.»

Caroline ignore si l'enquête, dans son cas, mènera à des accusations. Que sera, sera. L'important, pour elle, c'est d'avoir parlé. D'avoir, comme elle dit, déposé son fardeau.

 

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DES VÉRITÉS QUI DÉRANGENT

La campagne québécoise incitant les victimes d'agression sexuelle à dénoncer leur agresseur a fait l'objet de plusieurs publicités à la télévision ce printemps et elle se poursuit sur le site internet www.agressionssexuelles.gouv.qc.ca

Sur son site internet, le gouvernement rappelle que, en 2008, 34% des infractions sexuelles enregistrées ont été signalées à la police le jour même de leur perpétration, tandis que 20% l'ont été plus d'un an après.

Selon les mêmes statistiques datées de 2008, 29% des victimes avaient été blessées lors de leur agression. Les agresseurs étaient des hommes à 98%. Enfin, le tiers des jeunes victimes d'agression en 2008 ont été attaquées par un membre de leur famille immédiate. 

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CE QUE DIT LA LOI

Le Code criminel fixe à 16 ans l'âge du consentement à des activités sexuelles. L'âge du consentement est toutefois de 18 ans lorsque l'activité sexuelle repose sur de l'«exploitation» ou qu'elle se produit dans le cadre d'une relation d'autorité, de confiance ou de dépendance. Par contre, une personne de 14 ou 15 ans peut consentir à des activités sexuelles si son ou sa partenaire est de moins de 5 ans son aîné et qu'il n'y a aucune relation de dépendance ou d'exploitation. Il y a aussi une exception de «proximité d'âge» pour les jeunes de 12 et 13 ans.