Un projet de loi est actuellement à l'étude pour ramener à 0,05% le taux maximum d'alcool permis dans le sang pour pouvoir prendre le volant. Comment appliquera-t-on cette nouvelle règle? Quel pourrait être son impact? Et surtout, comment réagiront les automobilistes? Pour le savoir, des chroniqueurs de La Presse ont fait un test routier virtuel sous supervision policière après quelques consommations.

«L'alcool au volant, c'est criminel... qu'on se le dise.» Près de 25 ans après s'être imprégné dans la tête des Québécois, le vieux slogan de la SAAQ s'entoure d'un certain flou! Avec le projet de loi 71 actuellement à l'étude à l'Assemblée nationale, il sera plus difficile de conduire avec un verre dans le nez. Mais cela ne sera pas nécessairement un acte criminel.

«Il y a énormément de confusion autour du projet de loi fixant la limite d'alcool à 0,05.  Les gens ont l'impression qu'on va criminaliser la conduite à 0,05, mais ce n'est pas le cas, souligne Yvon Lapointe, directeur du service de la sécurité routière au CAA-Québec, qui est très favorable à l'instauration de la limite à 0,05. «Nous sommes vraiment face à une mesure administrative, qui équivaudrait grosso modo à une tape sur les doigts. Il n'y a aucune autre pénalité que l'humiliation et les désagréments que cela peut causer, dit-il, et cette limite a l'avantage de forcer les gens à réfléchir avant de prendre le dernier verre.»

La nouvelle mesure, qui est à l'étape de la dernière lecture, permettrait en fait aux policiers québécois de suspendre sur-le-champ, pour une période de 24h, le permis de conduire de toute personne qui prend le volant avec un taux d'alcool compris entre 0,05 et 0,08% (50 à 80 mg d'alcool par 100 ml de sang).

Les policiers pourraient aussi saisir le véhicule du conducteur s'il obstrue le chemin.

Mais d'un point de vue strictement légal, la limite fédérale de 0,08%, au-delà de laquelle il est criminel de conduire, resterait toutefois inchangée.

«Entre 0,05 et 0,08, aucune note de l'incident ne serait versée au dossier, et aucun point d'inaptitude ne serait imposé. C'est juste un avertissement qu'on donne aux conducteurs qui ne sont pas en état de conduire», indique Jolyanne Provost, porte-parole de la ministre des Transports, Julie Boulet.

Le projet de loi ne prévoit par ailleurs aucune amende à payer, et le coût du permis de conduire des personnes prises en défaut resterait le même.

Coûts cachés

Une «tape sur les doigts» sur le plan juridique, peut-être, mais de là à dire qu'elle n'aura aucune conséquence, bien des avocats ne sont pas d'accord.

«D'abord, ne serait-ce que pour les assurances auto, il est à peu près certain que, dans leur tarification, les assureurs vont tenir compte du fait qu'une personne a été prise à conduire avec une alcoolémie de 0,05%, simplement parce que ce conducteur représente un risque supplémentaire», estime Me Marco Labrie, spécialiste des causes de conduite avec facultés affaiblies.

Même si la suspension de 24 heures ne figurera pas au dossier de conduite, rien n'empêchera les assureurs de demander carrément aux conducteurs s'ils ont déjà vu leur permis suspendu. «Si une personne ne répond pas franchement, en cas de sinistre, ça peut occasionner des problèmes. Un assureur peut même aller jusqu'à refuser d'indemniser une personne», indique Anne Morin, porte-parole du Bureau d'assurance du Canada.

L'organisme se dit incapable d'évaluer pour l'instant quel sera l'impact réel d'une telle condamnation sur le coût des primes d'assurance mais, chose certaine, il y en aura un.

Procédure expéditive

Aux yeux de l'avocat Marco Labrie, l'autre problème avec la suspension du permis pour 24 heures réside dans la procédure expéditive qui la rend possible. Actuellement, le projet de loi donnera aux policiers le pouvoir de confisquer un permis sur-le-champ, sur la base d'une lecture faite avec un appareil de dépistage portable. «Ces appareils sont moins fiables», insiste l'avocat. Selon la loi actuelle, ces appareils ne servent jamais à établir la preuve pour faire condamner un conducteur pour alcool au volant; seuls les résultats d'un éthylomètre plus précis, généralement installé de façon permanente au poste de police, sont utilisés, et deux mesures prises à 15 minutes d'intervalle sont nécessaires.

«C'est normal que la société veuille retirer certains droits pour protéger la vie, reconnaît Me Labrie. Mais le problème, dans ce cas-ci, c'est qu'on veut suspendre les droits d'une personne sur la base d'appareils imprécis et d'un test fait au bord de la route. Les gens qui se feront prendre ne pourront même pas se défendre avec un avocat. C'est tellement expéditif que la sanction sera purgée avant même qu'ils aient eu le temps de mettre le pied dans le bureau de leur avocat. Quand le processus de contestation est plus long que la peine elle-même, qui ira tenter de faire invalider un jugement erroné? Personne», estime l'avocat.

Pas une panacée

L'Association des restaurateurs du Québec (ARQ), qui craint une diminution importante de sa clientèle avec l'imposition de cette nouvelle limite de 0,05, a mené un sondage sur la question. Les résultats indiquent que, si le projet de loi est adopté,  48% des clients se limiteraient désormais à une seule consommation alcoolisée et que 1 client sur 10 irait moins souvent au restaurant. «On ne dit pas que ce sera la catastrophe, mais la bouteille de vin à deux à la Saint-Valentin, ça va disparaître, et c'est dommage parce que rien ne prouve que conduire avec un taux situé entre 0,05 et 0,08 est plus dangereux que de conduire lorsqu'on a des distractions, un téléphone cellulaire ou des enfants, par exemple», affirme François Meunier, vice-président de l'ARQ.

Depuis 2004, selon les statistiques officielles de la SAAQ et du Bureau du coroner, seulement 37 des 594 conducteurs morts avec des traces d'alcool dans le sang avaient une alcoolémie située entre 0,05 et 0,08. En revanche, 463 de ces conducteurs avaient un taux supérieur à 0,08. «En 2008 seulement, on parle de seulement cinq cas où les conducteurs avaient un taux situé entre 0,05 et 0,08, et dans un de ces cas, le coroner a démontré que l'homme avait consommé du cannabis et des médicaments, souligne M. Meunier.

Autre exemple éloquent: en Saskatchewan, où la limite administrative de l'alcoolémie est fixée à 0,04 depuis 1996, le nombre d'accidents causés par des conducteurs aux facultés affaiblies par l'alcool a connu une hausse de 12% entre 2007 et 2008, pour atteindre le nombre record de 1551 accidents, qui ont provoqué 75 décès et causé 929 blessures. Du jamais vu dans cette province.

«Quand on regarde ces chiffres, on a vraiment l'impression que le gouvernement a sorti le bazooka pour tuer une mouche», affirme M. Meunier.

Qu'en est-il de l'alcool au volant dans le reste du Canada?