L'Association des victimes de prêtres n'est nullement surprise de la tentative de l'Église catholique d'étouffer les multiples agressions sexuelles d'un évêque de la région d'Ottawa, Mgr Bernard Prince.

«Le souci premier de l'Église c'est de sauvegarder l'intégrité de l'institution; ils veulent protéger leur image et c'en est la preuve. Leur deuxième souci c'est de protéger les prêtres pédophiles et il n'y a absolument rien pour la victime», a affirmé la fondatrice de l'Association, France Bédard, en entrevue à La Presse Canadienne.

Les manoeuvres de l'Eglise ont été mises au jour par le quotidien torontois Globe and Mail qui a publié, dans son édition de vendredi, une correspondance entre le Vatican et l'Église catholique canadienne datée de février 1993.

Cette correspondance, qui démontre clairement que le clergé savait bien avant la police que Bernard Prince avait agressé plusieurs garçons d'âge mineur entre 1964 et 1984, se penche notamment sur les moyens à prendre pour que le comportement de l'évêque, qui était un ami du pape Jean-Paul II, ne soit pas révélé en public.

En fait, lorsque l'Église a su que l'ancien évêque avait abusé de jeunes garçons, Bernard Prince a été sorti du Canada et de nouvelles fonctions lui ont été confiées au Vatican. Il a notamment été secrétaire général de l'Oeuvre pontificale de la propagation de la Foi.

Cette façon de faire est révoltante, selon France Bédard. «N'importe quelle profession ne tolérerait pas dans ses rangs un professionnel qui a été reconnu coupable de tels gestes. L'Église catholique, elle, conserve les prêtres pédophiles.»

Toutefois, Mgr Prince a dû revenir au Canada en 2006, lorsque des accusations criminelles ont été portées contre lui, 13 ans après la rédaction de la correspondance dévoilée par le quotidien.

En janvier 2008, Bernard Prince a été condamné par la juge Julianne Parfett, de la Cour supérieure de l'Ontario, à quatre ans d'emprisonnement pour agressions sexuelles. Le procès a démontré que les crimes avaient été commis dans sa résidence de Wilno, une petite localité de la Vallée de l'Outaouais située près de Pembroke, à son appartement d'Ottawa et dans les résidences de certaines de ses victimes.

Selon Guy Ménard, professeur en sciences des religions à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), ces nouvelles révélations ne peuvent faire autrement que de porter atteinte à la crédibilité de l'institution.

«Les agressions sexuelles envers les mineurs, ça ne se fait pas. Viol, meurtre, agression sexuelle, c'est le «top» des choses qui ne se font pas et, donc, on ne peut pas imaginer que ça n'aura pas d'impact, compte tenu de la gravité, pour l'ensemble de la population, de ces comportements», estime le professeur.

Selon lui, cependant, bien que ces comportements puissent accroître la distance entre l'institution et ses fidèles, ces derniers n'abandonnent pas la religion catholique pour autant. Il fait valoir que les fidèles ont depuis longtemps appris à vivre en désaccord avec ce que prêche l'institution, notamment en matière de contraception, d'homosexualité et d'avortement, par exemple.

«Autrefois, ç'aurait été plus difficile; on était plus proche d'une espèce de «crois ou meurs». Ceux qui n'auraient pas suivi à la lettre la ligne de parti, si je puis dire, ne seraient pas restés longtemps. Maintenant, y compris parmi le personnel de l'Église et encore plus parmi les fidèles, il y des gens qui continuent de se rattacher tout en se disant qu'ils n'achètent pas forcément le «package deal'.»

M. Ménard ne croit pas, toutefois, que la multiplication de scandales sexuels soit suffisante pour remettre en question le célibat des prêtres. «Dans une institution comme l'Église catholique, si on touche à ça (le célibat des prêtres), c'est tout l'édifice qui s'effondre.»

Il souligne, toutefois, que cette politique fait l'objet de nombreuses discussions en périphérie de l'Église, à défaut d'être abordée au sein des autorités de l'institution catholique. Il fait valoir qu'au-delà de la prolifération des cas de pédophilie, plusieurs enquêtes ont démontré que de nombreux prêtres ont des relations avec des femmes, une réalité qui remet en question le principe du célibat des prêtres mais que l'Église refuse d'aborder de front.

«On est dans le secret, on est dans le mensonge, on est dans le camouflage et ça, ça entretient un climat qui, à mon avis, est malsain. On nie qu'une partie importante du clergé, supposément chaste et célibataire, ne l'est pas», conclut M. Ménard.