L'Église catholique est de nouveau éclaboussée par un scandale sexuel. Plusieurs membres du clergé canadien et des responsables du Vatican auraient tenté d'étouffer une affaire de prêtre pédophile, révèle une lettre écrite il y a près de 20 ans par un évêque ontarien.

Le document a été publié hier matin dans le quotidien The Globe and Mail. Il concerne Mgr Bernard Prince, un proche du pape Jean-Paul II, reconnu coupable, en 2008, d'agression sexuelle sur 13 garçons entre 1964 et 1984.

Cette lettre a récemment été déposée auprès d'un tribunal de l'Ontario qui doit examiner des plaintes civiles en dommages et intérêt intentées par des victimes de l'ancien prêtre, aujourd'hui âgé de 75 ans.

La lettre écrite en 1993 par l'évêque de Pembroke de l'époque, Mgr Joseph Windle (aujourd'hui décédé), était destinée à Carlo Curis, le représentant du pape au Canada. Dans la correspondance, Mgr Windle s'oppose fermement à l'idée que Bernard Prince soit promu à des fonctions supérieures à la lumière d'informations qui circulaient au sujet du passé pédophile de Prince.

«Récemment, j'ai été mis au fait qu'il y avait non pas une, mais cinq victimes», peut-on lire dans la lettre, que La Presse a obtenue. «L'honorer d'une quelconque façon pourrait facilement faire réagir d'anciennes victimes ou des personnes qui connaissent son passé, ce qui serait extrêmement embarrassant, tant pour le Vatican que pour le diocèse de Pembroke, et ce, sans compter la possibilité d'accusations criminelles et d'une poursuite civile.»

Mgr Windle écrit également que les victimes sont d'origine polonaise et que leur respect envers la prêtrise les a rendus moins enclins à porter plainte. «Les évêques de l'Ontario qui sont au courant de la situation (et ils sont plusieurs) partageraient très probablement mon opinion à cet égard», a-t-il ajouté en citant six hauts prélats.

Au moment de la rédaction de la lettre, Prince avait déjà été transféré au Vatican. Il y a occupé des responsabilités relativement importantes dans l'administration chargée des missions, où il est resté jusqu'à sa retraite en 2004.

L'image de l'Église entachée

Selon Carolyn Sharp, professeure de théologie à l'Université Saint-Paul, à Ottawa, cette nouvelle histoire va indéniablement entacher l'image de l'Église catholique, secouée depuis quelques semaines par une série de scandales similaires.

«Ce n'est pas uniquement le prestige de l'Église qui est remis en question, mais toute sa capacité d'agir comme experte en humanité. Ces scandales sont en train de détruire sa crédibilité. C'est désolant parce que l'on a besoin d'une voix critique qui peut se prononcer sur des questions morales comme la guerre, les violations des droits humains ou le néolibéralisme.»

France Bédard, qui a fondé l'Association des victimes de prêtres, s'est pour sa part dite «choquée» et «ébranlée» par ces nouvelles révélations. «Cela rajoute à nos souffrances», a-t-elle confié. «Cela fait des années que nous dénonçons le silence de l'Église et le fait que les prêtres agresseurs étaient transférés de paroisse en paroisse, de pays en pays. La protection de l'institution ne doit pas primer sur la vie de personnes.»

Réactions du clergé

Les autorités cléricales canadiennes ont brièvement réagi à la publication de la lettre hier. Impossible, toutefois, d'obtenir une entrevue avec un dirigeant de l'Église.

Au Québec, le cardinal Marc Ouellet a préféré s'abstenir de commenter. «Il va laisser le soin de répondre, dans un premier temps, à la Conférence des évêques catholiques du Canada et l'Assemblée des évêques catholiques de l'Ontario», a indiqué Jasmin Lemieux-Lefebvre, directeur des communications à l'Église de Québec.

Or, dans un communiqué publié hier après-midi, la Conférence des évêques catholiques du Canada a indiqué qu'elle ne peut «nullement commenter» une communication qui a eu lieu il y a 17 ans, «ceci ne relevant pas de sa compétence».

Quant au diocèse de Pembroke, qui a également réagi dans un communiqué, il a dit croire que la révélation des documents au grand jour «démontre que nous avons fait de notre mieux pour être responsables dans notre façon de faire face à ces allégations».