«Je m'appelle Michael Rice. Mon nom, vous pouvez l'écrire en toutes lettres. Et vous pouvez écrire aussi que je suis entièrement favorable à la mesure d'expulsion des Blancs. Kahnawake, c'est un territoire mohawk.»

À Kahnawake, les gens ne se précipitent pas pour parler aux journalistes. Et quand ils le font, normalement, c'est en refusant net de voir leur nom imprimé.

Pas le très jasant M. Rice. «Ce n'est pas la première fois qu'on demande aux Blancs de partir. En 1973, je me souviens bien, c'étaient mes chums qui avaient fait la job. À cheval, ils allaient de porte en porte, ordonnant aux conjoints blancs de Mohawks de partir. La plupart d'entre eux avaient plié bagage.»

Et cette fois, si les Blancs refusent de partir? «Ne vous inquiétez pas. Ils vont s'arranger pour qu'ils partent.»

La grande majorité des Mohawks interviewés est d'accord avec l'envoi de lettres d'expulsion à 26 personnes - tous des conjoints blancs de Mohawks.

«Ça va faire de la place», dit M. Rice, évoquant le problème de l'exiguïté du territoire.

«If you marry out, you're out», résume pour sa part une femme dans la cinquantaine.

Tu épouses un non-Indien, tu prends la porte, quoi. «Tout le monde le sait. Ça n'a rien de nouveau.»

«Leurs enfants vont à l'école ici, ils bénéficient d'avantages auxquels ils n'ont pas droit alors que nos budgets sont serrés», se plaint une autre femme.

Seul un marchand de cigarettes rompra avec le discours ambiant. Lui trouve cela exagéré: «Le problème, c'est que si ça n'affecte pas ta famille ou tes amis, tu t'en fous. C'est comme pour le cancer du sein. Si tu ne connais personne qui l'a eu, tu ne vas pas participer aux grandes marches de collecte de fonds.»

Question de la race

Raciste, cette mesure d'expulsion? Jean Leclair, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Montréal, rappelle quelques réalités historiques: «La première loi sur les Indiens, au XIXe siècle, reconnaissait comme Indien toute personne de descendance indienne ou toute personne qui vivait dans une communauté indienne. Elle incluait donc des personnes qui n'avaient pas une goutte de sang autochtone. Pour que ça coûte moins cher, on a donc éliminé des gens, par le code sanguin.»

L'importance de la question de la race, dès qu'il s'agit d'Amérindiens, part donc de là. Du fédéral qui permet aussi aux réserves, depuis 1985, d'établir des codes d'appartenance, plus ou moins restrictifs selon qu'une réserve souhaite ou non limiter le nombre de personnes sur son territoire.

Des réserves peuvent se faire particulièrement sévères pour de réels problèmes d'exiguïté territoriale - les classiques problèmes de logement - ou par peur de perte identitaire. «Chez les Indiens, un mariage sur deux est contracté avec un Blanc, relève Jean Leclair. À ce rythme, dans deux, trois ou quatre générations, il n'y aura plus de Mohawks. Leur faut-il, en ce sens, adopter une citoyenneté plus englobante? La question est très délicate.»

Ces nuances faites, Jean Leclair ne soutient pas pour autant que la mesure d'expulsion tienne nécessairement la route. «Il est vraiment difficile de voir dans quel sens ça irait devant les tribunaux.»

Veto du ministre

C'est aussi ce que croit l'avocate Renée Dupuis, spécialiste des questions autochtones. En vertu de la Loi sur les Indiens, les réserves ont de fait le pouvoir de réglementer dans certains domaines - y compris sur le droit de résidence d'autochtones ou d'autres personnes de la réserve. Les réserves peuvent aussi adopter des mesures relatives aux époux et aux enfants. Les réserves ont une latitude certaine.

Quand une réserve adopte un tel règlement, elle doit le soumettre au ministère des Affaires indiennes. «Le ministre a alors le pouvoir de l'annuler», précise Me Dupuis.

Plus tôt cette semaine, au ministère des Affaires indiennes, cette option ne nous avait pas été présentée. «Une question de régie interne», nous avait-on indiqué alors.

Autre appel téléphonique, hier, au ministère des Affaires indiennes. Geneviève Guibert, porte-parole, nous lit l'information qui lui a été transmise. «Le ministère des Affaires indiennes n'a pas le règlement portant sur la réserve de la Première Nation de Kahnawake. On ne peut pas désavouer un règlement qui ne nous a pas été soumis.»

Direction tribunaux? Si les mesures d'expulsion de Kahnawake étaient contestées, le conseil de bande pourrait plaider son bon droit d'adopter ce règlement, indique Me Dupuis. Il pourrait aussi invoquer le droit coutumier de s'autogouverner. De son côté, la personne sommée de partir pourrait éventuellement dire qu'elle est victime de discrimination et invoquer la Charte canadienne des droits et libertés (mais seulement en 2011, car les recours à la Commission des droits de la personne relatifs à des règlements de conseils de bande ne seront autorisés qu'à partir de ce moment).

Possible, donc, de s'en remettre à la charte constitutionnelle, «mais c'est complexe et coûteux», prévient cependant Me Dupuis.