Un portrait-robot du tireur fou? Pas facile à brosser. Deux constantes émergent cependant: les tueries sont commises par des hommes et ceux-ci annoncent leurs intentions à au moins un proche. Au lieu d'essayer de deviner quel est le maniaque en puissance, les chercheurs avancent qu'il faut plutôt miser sur des réactions efficaces à des menaces réelles.

Pas simple du tout, donc, de prévenir les tueries. En témoigne le fait que des dizaines de ces tragédies continuent de survenir bon an, mal an dans le monde. De Polytechnique à Virginia Tech, en passant par Columbine, un véritable sentiment d'impuissance demeure.

 

Le rapport le plus complet sur la question, rédigé par les services secrets américains, date de 2002. Trente-sept tueries ont alors été passées en revue: qui étaient les tireurs? Quelles étaient les victimes?

Dans 30 des 37 cas étudiés, le tireur avait annoncé ses intentions à au moins une personne; dans les deux tiers des cas, il s'était confié à plus d'une personne. Les victimes recherchées étaient moins souvent des élèves (dans 41% des tueries étudiées) que des professeurs, des directeurs ou d'autres employés de l'école (dans 54% des cas).

Le rapport des services secrets fait état d'un cas particulièrement ahurissant dans une école dont le nom n'est pas dévoilé. L'élève en question avait planifié de tuer d'autres élèves dans le hall de l'école, avant la cloche du matin. Il avait parlé de ses intentions à deux amis, de façon très détaillée. À trois autres amis, il avait demandé de le rejoindre ce matin-là à la mezzanine du hall, afin de les mettre à l'abri de la ligne de feu.

Le matin, habituellement, presque aucun élève ne se rendait sur la mezzanine. «Cependant, la rumeur que quelque chose devait se passer avait pris une telle ampleur que ce matin-là, 24 élèves se sont retrouvés sur la mezzanine, attendant le début de l'attaque. Un élève qui était au courant de ce qui devait arriver avait même apporté un appareil photo pour prendre des photos de l'événement.»

«Certains savaient exactement ce qui se tramait, d'autres savaient que quelque chose de «gros» ou de «terrible» allait survenir, et dans plusieurs cas, les amis savaient à quel moment et à quel endroit cela se ferait», peut-on lire dans le rapport des services secrets.

Tolérance zéro, effet zéro?

Faut-il tomber dans l'extrême et expulser un élève aux premières paroles inquiétantes venues? À cela, les services secrets américains répondent un gros non en caractères gras dans un rapport du FBI. «Il est particulièrement important que les écoles ne réagissent pas aux menaces en se contentant de suspendre ou d'expulser un élève, explique Mary Ellen O'Toole, agente du FBI au Centre national pour l'analyse des crimes violents. Si un élève se sent traité injustement ou arbitrairement, cela peut augmenter sa colère et exacerber son intention de devenir violent.»

Les politiques de tolérance zéro ont leurs effets très pervers, a bien compris le Texas qui, par une loi, les interdit depuis cet automne dans ses écoles. Dans ce seul État, en 2007-2008, pas moins de 50 000 élèves avaient été suspendus ou renvoyés d'une école, souvent pour des offenses mineures. Résultat: quantité d'enfants ont vu leur droit à la fréquentation scolaire être bafoué.

Il est très mal vu chez les jeunes de dénoncer un autre élève. Si on sait de plus que les conséquences sur un camarade d'école seront énormes, les langues seront encore plus difficiles à délier, fait pour sa part observer Dewey Cornell, professeur de psychologie à l'Université de Virginie. «La plupart des menaces ne sont pas sérieuses et peuvent être tuées dans l'oeuf facilement. L'important, c'est de saisir les problèmes au vol quand ils sont encore mineurs, afin d'éviter toute escalade.»

Attention à la stigmatisation

À la suite de la tuerie à Virginia Tech, qui a fait 33 morts en 2007, l'État a adopté une loi obligeant chaque école à mettre en place un plan de prévention.

Dewey Cornell a alors été invité à préparer un rapport pour le ministère de la Justice sur la meilleure façon de s'y prendre.

M. Cornell insiste sur le fait qu'il faut bien se garder de stigmatiser des jeunes qui pourraient répondre au type du tireur fou. Oui, plusieurs tireurs fous sont des êtres solitaires, qui ont déjà été victimes d'intimidation et qui ont une petite tendance à être narcissiques et à avoir un sentiment de supériorité. L'ennui, c'est que, dans un pays ou dans un autre, ces traits caractérisent plusieurs millions de personnes...

«Ce que nous enseigne le FBI, c'est d'agir à partir du moment où une menace est réellement décelée et de ne pas y aller à l'aveugle en soupçonnant tout le monde.»

M. Cornell souligne aussi qu'il est important de relativiser, que l'école moyenne risque de connaître une tuerie une fois en 12 000 ans.

Cette statistique qui se veut rassurante a aussi son revers: selon le Centre national de statistiques en éducation, 14 300 élèves en 2005-2006 ont été suspendus parce qu'ils avaient apporté à l'école non pas un compas ou un couteau à beurre, mais une arme à feu ou un explosif.