La ferme biologique Au bonheur des prés est située à près de deux heures de Montréal. Après avoir quitté l'autoroute, il faut parcourir des kilomètres de routes vallonnées avant d'y arriver. C'est là que vivent Michael Smith et sa famille, après des années de vie urbaine.

Un jeudi matin pluvieux, aucune voiture ne passe sur le chemin d'Ayer's Cliff, dans les Cantons-de-l'Est. On n'entend que le hennissement de Joséphine, «l'ânesse de garde» de la famille.

En enfilant des bottes de caoutchouc pour aller dans la grange, le propriétaire des lieux se remémore sa vie de Montréalais branché: «À l'époque, je déménage presque chaque année, je n'ai pas de voiture et je vais partout à vélo. Je trippe vraiment fort sur la vie en ville.»

Dans les années 90, Michael Smith vit à fond sa vie de jeune professionnel urbain. Il fréquente les salles de spectacle, les cinémas, les restaurants, et il demeure toujours à la fine pointe de la technologie.

Il assume alors de grandes responsabilités pour l'entreprise Softimage, pour laquelle il voyage partout dans le monde. Responsable, entre autres, de la conception de logiciels d'animation 3D, il donne des conférences devant des centaines, voire des milliers de technophiles comme lui.

Malgré son succès, l'idée d'acheter une terre en campagne ne le quitte pas. Adolescent, il a travaillé dans des fermes et l'expérience l'a séduit. «Je savais que j'allais faire le saut un jour», raconte-t-il.

Au début des années 2000, à l'aube de la quarantaine, il se décide. Il se sent vieillir et il a l'impression que «c'est maintenant ou jamais».

Il arpente alors les Cantons-de-l'Est, à la recherche d'une ferme, et il s'arrête à Ayer's Cliff, là où une terre de 220 acres est à vendre. «Je suis monté sur la colline. Le propriétaire était aux champs, et je me suis tout de suite imaginé travailler là. Et à cette époque, je vivais dans un loft en béton avec des meubles à roulettes !»

Il entreprend des négociations au début de l'année 2001, et termine l'achat de la terre à distance, pendant un voyage en Asie. «Je ne pouvais pas être plus loin de la campagne!» lance-t-il.

Il commence alors une nouvelle relation amoureuse, et il ne se rend à sa nouvelle propriété que les fins de semaine. Le reste du temps, il vit dans un appartement du Plateau-Mont-Royal.

«Martine n'était pas prête à déménager, et moi, je travaillais toujours chez Softimage. C'était notre maison de campagne», explique-t-il.

Une maison de campagne avec de grandes responsabilités. «J'aurais vraiment aimé avoir une caméra avec moi le jour où, en pleine réunion chez Softimage, j'ai dit à mon équipe qu'à la fin de la semaine, je devais m'absenter pour faire les foins. C'était l'incompréhension totale autour de la table! Un de mes collègues s'est même exclamé: tu vas faire quoi?»

Grand départ

En 2002, Martine et Michael deviennent parents. La petite Lauranne change bien des choses. Plus question pour Michael de voyager autant. Il accepte une offre d'une autre entreprise montréalaise. Un pont d'or vers un poste qui le comble.

Il perdra toutefois son emploi moins de deux ans plus tard, un mois seulement avant l'arrivée de Liam, son deuxième enfant.

«J'ai eu deux très bonnes offres d'emploi dans le domaine technologique, raconte-t-il. Mais rien, absolument rien ne me tentait. J'étais alors plus convaincu que jamais que je voulais travailler sur ma terre.»

Prêt, pas prêt, le couple prend alors le chemin de la campagne. Pour de bon. Il rêve de grands espaces et d'air pur pour ses enfants.

Michael opte pour l'élevage d'agneaux biologiques, une activité qu'il arrive à faire seul après plusieurs mois de formation. Aujourd'hui, il a ajouté la pintade, le porc et la dinde à sa production.

Durant toute la visite, il distribue les commentaires joviaux aux animaux qu'il croise. «Hey, les filles!» lance-t-il en entrant dans l'enclos où se trouvent les brebis. «Viens ici, toi, adresse-t-il ensuite à l'une des bêtes. Je vais te gratter le cou... Oui, t'es belle!»

Quatre ans après avoir officiellement lancé son entreprise, il dit «vivre au paradis». Les yeux tournés vers un champ, il raconte comment sa fille aînée monte à cheval sans selle, et comment son fils s'émerveille devant les poussins qui sortent de leurs oeufs.

Puis, il se racle la gorge et remet les choses en perspective. «Je n'ai pas pris de vacances depuis 2005. C'est dur pour le corps. Je travaille autant d'heures et j'ai autant de stress professionnel que j'avais à Montréal. J'ai tellement de paperasse à remplir! C'est difficile aussi pour un couple de vivre le lancement d'une entreprise, un déménagement dans un tout autre milieu et la vie avec de jeunes enfants», énumère-t-il d'un trait.

Il prend une grande pause avant d'ajouter qu'il fera le point en janvier prochain, cinq ans après le début de l'aventure. Devra-t-il vendre, ou encore se trouver un partenaire?

«C'est mon projet. C'est mon rêve, répète-t-il. Ce n'est pas toujours facile, pour moi et pour ma femme. Mais il fallait que j'essaie. Et puis, j'ai un tas d'idées encore. Je suis plus réaliste aujourd'hui mais non, je n'ai pas de regrets.»