Dans la salle à manger de son appartement du Mile End, à Montréal, Nathalie Guilloux fouille frénétiquement dans des boîtes de carton. Elle cherche la confiture qui illustrerait le mieux son travail. Elle sort un pot avec des figues en suspension, puis elle se ravise: les cerises de terre, c'est peut-être mieux, non?

Enthousiaste, elle ouvre des échantillons et propose plutôt une dégustation. «Mon idée, ce n'est pas de faire des produits du terroir, présentés avec un tissu à carreaux, précise-t-elle en distribuant les cuillers. Par la qualité et l'originalité des produits, et aussi par la présentation visuelle du pot, je vise le marché du luxe alimentaire. Je propose une expérience.»

Nathalie Guilloux est sûre d'elle. Elle précise toutefois qu'elle a erré avant d'atteindre cette sérénité. «Ça m'a pris du temps à comprendre...» souffle-t-elle.

Sa passion d'aujourd'hui est à des lieues de la carrière qu'elle a embrassée, dans la vingtaine, alors qu'elle vivait en France. Après des études en droit économique et des affaires, elle se montre ambitieuse et obtient rapidement des postes importants. La trentaine à peine entamée, elle devient directrice de succursales bancaires et elle travaille de longues heures. «Il n'y avait que ça», se souvient-elle.

Tout roule, mais un an après sa nomination, un homme braque la banque. Le malfaiteur, armé d'un pistolet, la menace personnellement.

Le choc est immense, mais elle doit «reprendre le dessus» rapidement. Elle n'a pas le choix, c'est son boulot de montrer que la vie continue. Elle donne le ton pour que les membres de son équipe passent par-dessus l'épreuve.

Sauf que six mois plus tard, elle fait un arrêt cardiaque. À 32 ans. «J'ai fait un choc sceptique qui a failli me tuer, dit-elle. Les médecins ont cherché pourquoi je me suis trouvée aussi mal, et ils sont persuadés que c'est le stress accumulé qui a causé la crise cardiaque.»

Malgré tout, elle retourne au travail. Et en trois mois, elle doit faire face à trois autres braquages. Le dernier se solde par une prise d'otage, dont elle est personnellement victime.

En colère et en état de choc, elle accuse la banque de négligence. Puis, elle plaque tout et elle vient s'installer au Québec, où vit une partie de la famille de sa mère.

Elle s'établit à Montréal et elle cherche un emploi du même calibre. Elle obtient alors un poste en gestion de projets et elle apprécie les liens qu'elle tisse dans le milieu des affaires au Québec.

Elle met ensuite ses compétences à profit dans l'entreprise que démarre son amoureux. Mise en marché, recherche de capitaux, conception d'une banque de donnée, la petite équipe réussit à percer et connaît du succès.

Nathalie s'y investit cependant beaucoup. Elle ne dort souvent que cinq heures par jour. Le reste du temps, elle travaille.

Puis, elle craque. «Mon médecin m'a dit: on arrête tout, Nathalie», se souvient-elle. L'épuisement professionnel la force au repos. Sauf que peu de temps après, elle apprend qu'elle a contracté une pathologie cancéreuse à l'endomètre. À nouveau, elle se retrouve en congé forcé.

«Après tout cela, je n'avais rien compris. Je me suis mise à chercher un nouvel emploi... comme directrice générale, raconte-t-elle. Cependant, j'avais des offres et je les refusais toutes. Je n'allais vraiment pas bien. En fait, j'ai fait une dépression... Choc sceptique, burnout, cancer... J'étais en train de me tuer petit à petit.»

Une nouvelle vie

Confrontée à une vie à la maison, elle tricote et elle cuisine. Et aux dires de ses proches, elle cuisine merveilleusement bien. Elle prépare des gelées, des confitures. Elle fait des expériences et teste des combinaisons.

«C'était une thérapie par les mains! lance-t-elle. J'ai réussi à détourner les amateurs de Nutella de leurs habitudes et je me suis retrouvée en rupture de stock.»

Ses proches l'encouragent. Et si elle en faisait un métier?

Devenir confiturière? Ah et puis, pourquoi pas! s'est-elle dit.

Emballée et soutenue par son amoureux, elle travaille à la création de son entreprise depuis plusieurs mois. D'ici un an, calcule-t-elle, elle vivra de ses confitures. Des boutiques s'intéressent déjà à son concept.

Pour vendre son produit, son expérience professionnelle lui ouvre des portes. Elle est à la tête d'une entreprise dont elle planifie rigoureusement l'avenir, mais elle «décroche» de temps en temps, le temps de cuisiner. «Je n'ai aucune inquiétude, confie-t-elle. Pour la première fois de ma vie, je n'ai pas peur de l'avenir. Je me surprends moi-même.»

Après réflexion, Mme Guilloux finit par nous tendre deux pots: les figues et les cerises de terre. En cas de photo dans le journal, les deux couleurs se compléteront, dit-elle. Puis, elle s'exclame en riant: «Ouais... j'ai changé complètement de métier... mais je me sers encore de mon bagage de gestionnaire! Ça, ça n'a pas changé!»